Rencontre de trois pauvres types
par Copareos

  • 24 June 2016
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Par Copareos,

 

Vendredi 24 juin, il est 20h40 au Nou Camp. Jacques-Hippolyte attend impatiemment qu’on le serve mais son espagnol est trop approximatif pour qu’il se fasse remarquer. Pour tenir le coup entre Neuilly-sur-Seine et Barcelone, il a écouté Légende Racing, sa musique préférée de tous les temps, même devant Michel Sardou. Il était bien pendant ces neuf heures de route dans sa Merco avec son petit foulard ciel et blanc, seul puisque tout covoiturage aurait impliqué le risque de prendre un gros loser en Auvergne, lequel lui aurait parlé de Kruger et de sa salope de femme qui font qu’il va assister à un match qu’il n’a pas envie de voir, mais comme il a payé et qu’il est Auvergnat, il va y aller quand même. Et puis il n’allait pas le vendre sur les internets, y’a pas d’ça en Auvergne vindjieu. Ce que c’est vulgaire, un provincial.

 

D’ailleurs, à la buvette catalane, alors qu’un serveur l’aperçoit enfin et lui demande enfin ce qu’il veut, J-H comme on l’appelle au squash sort de ses pensées et se lance : « Uno doubla Scotcho por favor ». Et là, ni une ni deux, une voix se fait entendre derrière, en toute subtilité : « C’est quoi cette boisson de pédale ? ». Ce provincial profondément méprisé par son interlocuteur se nomme Kévin, lui a fait la route depuis le Var dans une polo au rouge aussi flamboyant que celui qui orne la tunique de ses favoris. Cette finale, il l’attend depuis un an, finies les soirées pourries à Saint-Denis, cette année c’est sangria, plage, et putes bien sûr, traitées comme dans les chansons de Keen’V. Alors comprenez sa réaction face à la commande de son homologue francilien. Pourquoi ? Parce que Toulon.

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Revenons à nos moutons, J-H et Kévin se font face. Le Francilien et sa cinquantaine d’années en ont vu passé des cons autour d’un terrain de rugby, il décide donc de ne pas prêter attention à cette petite énergumène et paye sa boisson, tranquillement. Cela ne semble pas plaire au Toulonnais qui en rajoute une couche : « Sympa ton écharpe, tu l’as prise à ta femme ? ». La situation est tendue. Autour des deux protagonistes, la foule est partagée entre l’incompréhension (« que pasa en la buvetta ? No comprendo frances ») et la consternation (« Arrêtez, on n’est pas à un match de foot. »). On remarque aussi un Clermontois qui profite de l’atmosphère pour suggérer que la grand-mère de Kruger ingère des chibres. Mais passons.

 

Tout le monde sait désormais que la confrontation est inévitable, chaque camp se prépare, étudie les moindres faits et gestes de l’adversaire, et la première attaque surgit comme un éclair :

– A mon avis, il existe un tel écart entre les équipes que cette finale ne se jouera pas à Pilou Pilou face, n’est-ce pas ?

Yo mamma. La réplique ne se fait pas attendre :

– Vu le niveau du RCT, ton équipe va passer un mauvais Carter !

Popopopo. Les réactions fusent, puis Kévin enchaine, son adversaire étant dans les cordes :

– Ta chemise toute pourrie, c’est Dulin ?

Le summum a été atteint. Les cerveaux sont à leur capacité maximale, l’humour est mort. S’en suit un long silence pour chercher une nouvelle punchline, mais les concurrents sont à bout, ils ne peuvent plus former de phrase. J-H tente quand même :

– Frédéric Michalak !
– Luc Ducalcon.
– Thibault Lassalle
– Marc Andreu.
– Maxime Mermoz !
– Rémi Tales

Puis, venant de nulle part, le supporter clermontois craque :

– LUDOVIC RADOSAVLJ… RADOLVA…. RADOJSCL… RADOSAVDJE.. ON MERITAIT DE GAGNER BANDE D’ENCULES.

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S’en est suivi un poignant monologue digne de celui de l’ostréiculteur à la fin des Petits Mouchoirs, où l’Auvergnat explique en quoi il aimerait être à la place des deux types qui se prennent la tête pour un rien, avant d’entamer une prière pour que Camille Lopez parte à la place de Brock James à La Rochelle.

Cette intervention aura au moins eu le mérite de rappeler à J-H et Kévin qu’un match a lieu à côté d’eux. Lorsqu’ils pénètrent dans l’enceinte, le Racing mène 17-3 après une demi-heure de jeu. Le Francilien indique alors le tableau d’affichage à son concurrent d’un soir, mais quand le Racingman montre le score, le Toulonnais regarde ses trois étoiles.