Adrien Buononato (Stade Français) passe sur le grill – partie 1
par Ovale Masque

  • 07 January 2016
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Pour bien débuter l’année 2016, nous avons décidé de cesser de nous cacher derrière nos écrans, au moins le temps d’une rencontre avec Adrien Buononato, l’entraîneur adjoint au Stade Français. Adrien Buononato, c’est un peu comme le bassiste d’un groupe de rock : il est là dans un coin de la scène, mais on ne sait pas à quoi il sert et on ne se souvient jamais de son nom.

Une injustice que l’on décidé de réparer en vous dévoilant ce (long) mais (on l’espère) bon entretien. Le Stade Français, le Racing, Gonzalo Quesada, Jeff Dubois, la formation française ou le futur de l’équipe de France, on a abordé plein de sujets passionnants, et ce cher Adrien nous a fait bien plaisir en laissant sa langue de bois au vestiaire.

(Précision : L’interview a été réalisée par Ovale Masqué et le Stagiaire dans un bar à Paris le 17 décembre 2015, quelques jours après la défaite du Stade Français contre l’UBB à Jean-Bouin)

 
Bonjour Adrien. Tu fais partie du staff du Stade Français, tu es champion de France, et pourtant personne ne te connaît. Tu n’as pas de page Wikipedia, alors que même Jacques Delmas en a une. C’est donc l’occasion pour toi de réparer cette injustice et de te présenter un peu. Note que si ça te fait chier tu peux raconter n’importe quoi, personne n’ira vérifier de toute façon.

Je m’appelle Adrien Buononato, j’ai 38 ans, bientôt 39, deux enfants (un garçon, une fille), une femme. Je viens d’une région viticole, d’un village dans le Côte-Rôtie qui s’appelle Chavanay.

Moi je suis arrivé au rugby par des potes de collège. Je n’ai pas de filiation rugby par ma famille : ma mère faisait de l’athlétisme et mon père du foot. C’est pour le côté festif, pour les potes et partir en bus avec les mecs que je suis arrivé dans ce sport.

Jeune, j’ai eu la chance de jouer dans un tout petit club qui marchait très bien. En cadets, on se fait une demi-finale du championnat de France à Gerland, en lever de rideau d’un Clermont-Toulon. Puis le groupe s’est un peu éclaté. Certains sont partis à Bourgoin ou à Grenoble et d’autres à Romans, ce fut mon cas.

J’ai fait ma petite vie de joueur et puis je suis arrivé à Paris, non pas par choix mais parce que ma femme est journaliste et qu’elle devait donc venir y travailler. J’ai signé à Domont, un club de Fédérale 1 qui payait très bien les joueurs, avec de l’argent qu’il n’avait pas. Je me suis retrouvé à jouer avec Jean-Raphaël Alvarez et des mecs de partout, des Géorgiens, etc. On fait une demi de Fédérale 1 et puis ce qui devait arriver arriva, on a commencé à ne plus être payés. On s’est peu à peu tous barrés et j’ai des potes qui m’ont appelé pour les rejoindre au PUC, qui venait alors de monter en Fédérale 1.

C’était une seconde jeunesse. J’avais 30 ans et ça reste parmi mes plus beaux souvenirs de rugby « adulte ». Je n’avais pas l’intention de devenir coach mais je me suis assez vite retrouvé capitaine de cette équipe (il était talonneur, NDLR). Un jour l’entraîneur – qui était aussi responsable du pôle France – est parti à Biarritz et c’est moi qui l’ai remplacé. Mais je l’ai fait par plaisir, ce n’était pas du tout une vocation.

Ça c’est bien passé, j’ai fait ma première rencontre avec Gonzalo notamment. J’en ai profité pour passer tous mes diplômes d’entraîneur, de celui de l’école de rugby au DE. Et on m’a appelé pour entraîner les espoirs du Stade Français, tous les joueurs que j’ai maintenant. Là aussi, ça s’est très bien passé. Gonzalo est arrivé au Racing, il m’a proposé de le rejoindre là-bas et de prendre la responsabilité du centre de formation. Je l’ai fait pendant deux ans et quand il est retourné au Stade Français, il m’a repris dans ses bagages. Il y a une part de compétences j’imagine, mais c’est aussi et surtout de l’aventure humaine.

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Inutile d’aller vérifier Adrien, tu n’as vraiment pas de page Wikipedia. 

 
Les staffs sont de plus en plus larges avec des entraîneurs pour chaque domaine (vidéo, jeu au pied, défense…). Quel est ton rôle à toi au juste ?

Nous on ne s’est pas vraiment réparti les rôles comme ça même si on a bien la distinction entre avants et trois quarts. En l’occurrence Simon (Raiwalui) est en charge des gros et je suis son adjoint. Et après, sur toute l’équipe on s’est réparti le travail par rapport au plan large et au plan serré.

Gonzalo est responsable de l’attaque et plus spécifiquement du plan large et Simon est responsable de la défense et donc du plan large également. Moi je m’occupe du plan serré en attaque et en défense. Donc par exemple si on remarque qu’une équipe va défendre dans les rucks de manière à ralentir les ballons, je vais faire un focus sur cette zone-là pendant la semaine. Donc ce qui est chouette c’est que tu interviens toujours, sur chaque séance d’entraînement. Ce qui n’est pas le cas pour celui qui entraînerait juste la défense, parce que qu’il resterait de côté quand tu bosses l’attaque par exemple.

J’ai ce plaisir-là d’avoir du terrain au quotidien et après je fais tout le suivi individuel du joueur. Grâce aux analyses vidéo, je récupère les statistiques de chaque joueur, fais les montages vidéo et les mets dans leur dossier. On choisit ensemble trois items qui sont essentiels sur notre jeu, trois éléments indispensables pour pouvoir jouer au Stade Français et je travaille avec eux par rapport à ça. Par exemple, ce matin j’ai eu les lanceurs, puis j’ai travaillé avec Plisson, Lakafia et Sinzelle uniquement sur de la défense. Après je vais avoir d’autres joueurs et ainsi de suite.

 

Et ça c’est vraiment nouveau par rapport à d’autre clubs ?

Non je pense qu’il y a d’autres clubs qui fonctionnent comme ça. A Grenoble par exemple, ils ont un staff très large avec beaucoup de compétences spécifiques. Mais c’est pas très français ce fonctionnement car je pense qu’en France les entraîneurs aiment bien avoir la mainmise sur tout et tenir les joueurs un peu sous leur coupe.

Et surtout, ils ont un peu peur de la compétence externe. Alors, c’est possible chez nous parce qu’on s’entend bien. Il y a une forme de loyauté qui fait qu’aucun de nous n’aura un discours discordant par rapport à ce que peut dire Simon ou Gonza. On fonctionne à la confiance, on laisse aux autres leur espace de liberté pour pouvoir bosser, ce qui, par exemple, n‘était pas du tout quelque chose d’envisageable au Racing. Là-bas il y a un côté plus sclérosé, avec une seule voix qui s’adresse aux joueurs. Je pense que c’est assez difficile pour eux, notamment pour les Anglo-Saxons qui arrivent avec des fonctionnements plus proches du nôtre. Et quand ils viennent au Racing, ils sont paumés. Je crois vraiment que ça découle de la façon dont est conçu l’entraînement, de la relation joueur-entraîneur. De l’intérieur, c’était ce que je ressentais en tout cas.

Je pense d’ailleurs que O’Gara se fait chier, et qu’ils ont re-bloqué le truc avec Ali Williams parce qu’ils se disent « attends, ils nous remettent un mec dans les pattes ». Il y a vraiment une crainte de la compétence externe, de perdre le pouvoir ou le contrôle.

(NDLR : en août dernier, Canal + avait annoncé qu’Ali Williams devait rejoindre le Racing 92 pour « effectuer un audit au sein du club francilien, en particulier sur le plan sportif et managérial ». Finalement, l’ancien All Black est arrivé au club en décembre, pour se voir confier une « mission de relations publiques » et jouer les conseillers de Dan Carter. )

 

Avec Nicolas Godignon ou Bernard Laporte, tu es l’un des rares entraîneurs de haut niveau a n’avoir jamais été vraiment un joueur de haut niveau. Est-ce que c’est un handicap ? Est-ce que ça peut aussi apporter un plus ?

Je suis quand même passé par toutes les sélections de jeunes. Mais il n’y avait pas de pages Wikipédia à l’époque. J’étais… pas très sérieux en fait. Je crois que je suis encore le seul entraîneur à fumer des clopes ou à boire des canons avec les joueurs. Mais être passé par le haut niveau ou pas, ça ne change rien. À partir du moment où les joueurs ont des réponses sur le terrain, ils s’en foutent.

Sur les huit équipes qui sont quart de finalistes de la CDM, à part Saint André, est-ce que tu te rappelles de la carrière de Daniel Hourcade ou d’Heyneke Meyer ?
C’est un problème français encore une fois. T’es président donc pour te couvrir tu vas prendre un nom connu pour entraîner. Et pour te couvrir en tant qu’entraîneur, tu vas prendre des noms connus pour t’aider, etc. Tu remets systématiquement la faute sur les autres comme ça.

Donc pour moi ce n’est pas plus mal. Comme ça je peux sortir, fumer des clopes et boire des coups sans qu’on me demande des selfies ou des autographes. C’est parfait.

Le PUC, c’est Valeurs ©.

 

Tu as été responsable de la formation au Racing : c’était vraiment « une caravane et des boudins » (pour citer Jean-Pierre Elissalde), ou une pépinière à champions, qui a sorti des perles telles que Dan Carter, Mike Phillips, Jonathan Sexton, Henry Chavancy, Henry Chavancy et Henry Chavancy ?

C’était un outil formidable, mais uniquement pour la photo malheureusement… Alors si, cette année il y a Cedate (Gomes Sa, un pilier NDLR) qui sort. Je me rappelle, qu’il y a deux ans, quand on en discutait avec Labit et Travers, ils ne voulaient pas en entendre parler. Ils te disaient que ça ne ferait jamais du haut niveau.

Ils se mettent en règle avec la loi. Ils signent tous ces jeunes, avec des contrats au SMIC du Top 14 comme ça ils ont le nombre de JIFF qu’il faut et derrière ils peuvent prendre les stars dont ils ont besoin. C’est du gâchis sans déconner.

Tu verrais les moyens qu’il y a, les outils à disposition… Quand on a démarré, on a été finalistes puis champions de France en espoirs mais à part Cedate t’as zéro joueur qui joue aujourd’hui.
Et c’est dur pour eux. Par exemple, il y a un pilier qui s’appelle Vartanov, passé par le PUC et que j’ai connu en espoirs au Racing.
Il a signé là-bas, a joué avec les espoirs. Dans les oppositions avec les pros, il était ultra performant. Puisqu’il ne joue pas au Racing, ça nous intéresse éventuellement de le récupérer au Stade Français mais à l’époque les mecs lui ont proposé un contrat de trois ans, au SMIC.

À partir du moment où ils proposent ce contrat, les indemnités de formation à rembourser pour nous sont de 100.000 euros. Quel club va payer 100 000 balles pour un joueur qui n’a jamais joué en Top 14 ? Personne. Donc c’est pas une pépinière, c’est un mouroir, un piège. Et en même temps je comprends le joueur, on lui propose trois ans dans un club huppé, pour lui c’est dur de dire non.

 

Et à ce moment là, pourquoi ils ne les prêtent pas en Pro D2 ?

C’est ce qu’il s’est passé un peu avec Mamadou Diaby, qui est passé par Oyonnax et qui joue maintenant à Grenoble. Ça s’est fait quand Gonza était encore là et on avait dû insister pour qu’ils lui fassent son contrat. C’était un joueur qui n’était même pas au centre de formation avant. Mais bon, c’est pas leur politique.

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Adrien et des jeunes qu’on connait pas.

 

Mais ça vient du Racing particulièrement ou c’est quelque chose de commun à tous les clubs ?

Non je ne pense pas que ce soit commun à tous les clubs. Nous on vient de prêter Vincent Mallet à Albi pour qu’il ait du temps de jeu en ProD2.

J’ai vraiment l’impression que c’est une politique du Racing, d’empiler, « parce qu’après tout on sait jamais, peut-être qu’on en aura besoin. Et puis s’il est vraiment bon, on va le garder, ça sert à rien qu’il aille faire les beaux jours d’un autre club. »

Ils ne sont pas sur une logique de bien-être, de formation du joueur. Ils sont sur leur logique à eux. C’est assez clanique, très court-termiste. Tout ce qu’on prend, les autres ne l’auront pas.

 

Justement, notre gentil nouveau sélectionneur, Guy Novès avait été très critique vis-à-vis du championnat espoir, en n’hésitant pas à dire que c’est de la merde. Tu en penses quoi, toi ?

Je suis un peu d’accord avec ça, oui. C’est un peu de la merde.

Déjà d’avoir baissé l’âge, c’est une connerie. Idem avec le fait d’avoir limité le nombre de joueurs pros qui peuvent passer par cette compétition. Tu baisses le niveau et sur l’année, tu te retrouves donc avec 10 matches intenses sur les 26. Quand arrivent les phases finales, d’un coup les clubs mettent leurs meilleurs joueurs donc tu n’as que ces matches qui sont intéressants. C’est dommage.

 

Et pour changer les choses, tu verrais quoi ?

Il faudrait ouvrir un peu plus le championnat aux joueurs pros, par exemple à ceux qui reviennent de blessures et qu’on aimerait faire passer par la case espoir. Mais il faudrait qu’ils y trouvent un vrai enjeu. Or ce n’est pas le cas. Et encore, je pense qu’on fait partie des équipes qui jouent le jeu, on envoie vachement de mecs, on a une équipe espoir qui est costaud. Et l’inverse est vrai, on prend aussi beaucoup d’espoirs pour venir jouer avec nous, ne serait-ce qu’aux entraînements.

Ils te disent que c’est dangereux un pilier de 20 ans qui va jouer Castrogiovanni ? Mais deux ans après, s’il est bon il va le jouer et il ne sera pas plus formé ! Donc qu’on aille au bout de la logique, c’est fait pour ça. C’est dommage parce qu’on est le seul pays où cette catégorie existe mais elle ne te prépare pas vraiment au haut niveau. En Angleterre, à 20 ans, soit tu signes pro, soit tu fais rien. Nous on a cette possibilité là, de sortir de juniors et d’avoir deux années de transition. Donc qu’on la fasse vraiment, cette transition. Qu’on mixe des pros, des jeunes qui montent et feu !

 

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Adrien faisant semblant d’écrire des choses pour faire croire qu’il bosse pendant les matchs.  

 
À la Boucherie on déteste Laurent Labit et Laurent Travers, sans trop savoir pourquoi. Donne-nous de bonnes raisons de continuer.

C’est dur… Enfin, pas d’aller dans votre sens, mais de taper sur les mecs.

Mais je vais vous raconter une anecdote et après chacun jugera. Le lundi, au Racing, on avait toujours une réunion staff : entraîneur espoirs, centre de formation et pros dans le bureau de Travers et Labit qui chapeautaient un peu le truc.

Labit, il suit les joueurs, je pense que c’est un mec plutôt sincère et honnête. Bon quand il critique l’arbitrage, il n’a peut-être pas de filtres, c’est son problème et sa limite, mais au moins il est sincère…

Bref, Laurent Travers est à son bureau – il était au Racing depuis deux mois à peine – et on lui pose une question. Il ne répond pas. Il est au téléphone et ne nous écoute pas. On l’entend: « Oui, non ce soir je peux pas, j’ai une avant-première au cinéma, je me rappelle plus l’actrice… ». Déjà, le mec vient de Castres, pourquoi il s’invente des soirées-je-sais-pas-quoi ?

Au bout d’un moment, Labit lui dit « Putain Laurent tu fais chier, on t’attend, tu donnes ta réponse ?». Et là le mec lâche une grosse caisse. Il se retourne en se marrant « tu veux ma réponse ? Bah tu l’as ! ».

Le mec convoque une réunion, tu te déplaces et pour seule réponse il te lâche une caisse au nez. Quand t’as bossé avec Berbizier et Quesada ça fait bizarre.

 

Justement parlons de Pierre Berbizier, ça s’était bien passé avec lui ?

Oui. Il a vraiment des idées très précises sur ce qu’il veut faire, avec une vision pour les jeunes joueurs. Il a plein de défauts et pas grand-monde ne l’aime mais moi je l’aime bien. Il est entier, va au bout de ses idées. Il n’est peut être pas assez diplomate ou bon orateur mais c’est un bon mec. J’ai aimé ce côté à la limite entre le rugby d’avant et le nouveau, avec des idées précises. Je suis déçu que ce mec n’entraîne plus.

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Nous aussi. Car Pierre Berbizier qui entraîne, ça veut aussi dire Pierre Berbizier qui ne commente plus les matchs. 

 

Le titre de 2015 avec le Stade Français, c’était un miracle ou vous l’avez vu arriver ? Avant que Clermont ne gagne la seconde demi-finale, je veux dire.

Franchement, on savait qu’on serait champions bien avant. Au mois de juin, mais de l’année 2014. On s’est dit « on est suffisamment cons pour être champions ». Je me souviens très bien, on était aux 40 ans de Gonzalo, plutôt en fin de soirée et t’as Marc Lièvremont et Didier Retière qui nous branchent. On les a regardés, très sérieusement et on leur a dit « Cette année on sera champions de France, tu verras ».

Deux mois après, Marc vient à Paris pour le lancement du Tournoi des six stations ou un truc dans le genre, et il nous invite à boire un verre. À un moment il discute avec deux autres membres de l’équipe. Et là pareil, il leur dit « Alors, cette année, vous visez quoi ? Une place dans les six ? Parce qu’avec Clermont, Toulon, etc ». Et je me vexe (bon j’étais rond hein) et je lui dis « Tu me fais chier, je te dis que nous cette année on sera champions, et on va se donner les moyens ».

Au final si on l’a dit deux fois, aussi tôt dans la saison et même en étant un peu bourré, on devait vraiment y croire. On ne s’est pas mis de limites. On s’est pas dit « On va jouer comme ça pour être champions » ou quoi. De toute façon il faut de la chatte, on va pas se mentir. Quand tu marques un drop à la dernière minute contre Bordeaux, t’as maîtrisé tout ce qui se passe avant mais il faut un peu de chatte quand même. Quand tu gagnes à la dernière seconde le premier match de la saison à Castres, pareil. T’as les couilles de le faire. T’as tellement rien à perdre qu’au lieu de prendre trois mêlées de suite, tu écartes le ballon, tu marques et tu gagnes. Et là tu te dis que t’es capable de tout.

 

D’ailleurs, tu es persuadé que le SF sera encore dans les 6 cette année. Tu es un peu le seul à y croire, donc dis-nous pourquoi ?

J’y crois à fond. On fait pas peur comme peuvent faire peur le Racing, Toulon, Clermont. Les mecs ont trois ou quatre équipes. Donc on est pas tellement plus attendus ou favoris cette saison.

Cette saison, on reprend tard et quand on se retrouve cet été à Val d’Isère, on sent que les têtes sont peut-être encore un peu au titre (c’était seulement trois semaines après). Et je ne sais pas si tu te mets dans un mode commando dans ces conditions-là. Donc on a commencé notre saison un peu insouciants et surtout pas avec les mêmes armes que l’an dernier : beaucoup de joueurs absents, beaucoup de jeunes.

Mais je reste persuadé qu’on a pris vachement d’avance par rapport aux autres. On n’a pas pris des jokers CDM, on s’est pas fait chier à intégrer des mecs pour les lâcher trois semaines après, on a joué avec des gamins, sur lesquels on s’est fait une idée. Est-ce qu’on va compter sur untel dans trois mois, dans six mois, dans un an. Ça nous a coûté des matches ? Ok très bien. Mais aujourd’hui on a une vue de notre effectif qui est complète.

Alors oui, la défaite contre Bordeaux, elle est relou. On était peut-être trop facile. On s’est pas sentis dans un état d’urgence qui va te donner faim. On s’est pas battus, on leur a donné le match. C’est la première fois de l’année qu’on alignait une très grosse équipe, du 1 au 23. Peut-être qu’on s’est pas sentis assez en danger. Peut-être du coup qu’on a senti une sorte de soulagement, on s’est dit « Ça y est, on a passé les galères, c’est fait ». Et en fait non. Donc c’était une bonne alerte et on a réalisé qu’on ne dispose pas d’un jeu qui nous permet de ne pas être à 100%.

 

C’est qui le chauve le plus important au Stade Français ? Dupuy, Burban ou Parisse ?

C’est dur d’en enlever un, franchement.

Sergio, il est très important pour ce qu’il transmet aux autres. Sur le terrain c’est un compétiteur, et dès l’entraînement il est à 200%. Du coup quand il est absent, même la qualité des entraînements baisse.

Après, La Grolle, il est important pour l’emprise qu’il a sur les mecs. Il questionne le staff tout le temps et puis c’est un gagnant, lui aussi. C’est des mecs qui n’acceptent pas de perdre, qui n’acceptent pas facilement la concurrence, qui n’acceptent rien en fait. Avec l’arrivée de Genia, il va faire la saison de sa vie Dupuy, il va montrer qu’il est là, j’en suis convaincu. Dès qu’il y a de l’adversité, il est bon.

Et puis Burban, il est important pour tout. C’est notre vice-capitaine et aussi un mec de bringue.
Pour la petite anecdote, tous les matches qu’on a gagnés à l’extérieur l’an dernier, on s’est retrouvés à la gare ensemble et je nous achetais un paquet de clope à tous les deux. Et le soir on se fumait une petite clope et on se racontait des saucisses de l’époque du PUC, des conneries comme ça.
Antoine, c’est l’insouciance. Il est toujours détendu, décontracté, même juste avant le coup d’envoi. Par contre dès que ça siffle… Il manque en ce début de saison. Sur 22 semaines depuis le début de la saison, il n’en a passé que six avec le groupe.

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De toute façon, les cheveux ça lui allait pas. 

 

Est-cé qué Gonzalo Quesada parle vraiment commé ça tous les jours ou est-ce que c’est juste pour choper ?

C’est pour choper. En fait partout où on va, cet enfoiré essaie de parler la langue. Quand on a été en Italie, il se forçait à parler en italien. Mais parce qu’il sait que son accent italien pourri auprès des Italiennes, ça va marcher. Alors il apprend aussi trois mots de fidjien, au cas où, pour pouvoir dire « Salut, ça va, t’habites encore chez tes parents ? ». Tu vois le truc. Pareil, il dit trois mots en afrikaaners, en géorgien, en russe.

Il a une facilité avec les langues, c’est impressionnant. Si ça se trouve, il est en France depuis plus longtemps que moi et il a toujours l’accent. Donc j’imagine que c’est pour choper. Et puis il entretient ses fautes de français… Après, oui, il parle tous les jours comme ça. Ça a un côté romantique non ?

 

On entend souvent que Gonzalo c’est un coach qui marche à l’affectif, qui implique les joueurs dans les décisions… certains disent même qu’il est peut-être trop gentil. Tu en dis quoi toi ?

Ouais il est gentil. Mais je n’arrive pas à savoir ce que ça veut dire gentil. Quand c’est dit comme ça, j’ai l’impression que c’est péjoratif alors que c’est pas du tout le mot adapté. Il est participatif, compréhensif, à l’écoute des joueurs, du staff, de l’administratif, du mec qui fait la sécurité du stade, bref de tout le monde. Il prend tout et après il fait sa synthèse. Mais c’est pas « gentil ». Parce que je peux te dire que quand le chauffeur de bus se plante sur un trajet et qu’on perd deux minutes, il le déglingue. Donc il est d’une exigence redoutable mais comme il élève rarement la voix, comme il n’a pas le ton qui monte, quand il te fait une réflexion tu la prends froidement et tu la prends bien dans la gueule. Donc c’est pas de la gentillesse. Il ne va pas dans le conflit parce que dans le conflit il n’y a plus d’échanges. Et après il sort ses arguments. Mais tu t’engueules pas avec Gonzalo. Tu débats de façon véhémente et engagée. Mais tu t’engueules pas.

Parfois même tu veux montrer une vidéo à laquelle tu crois, sur laquelle tu bosses depuis une semaine, il va te dire « oui, non mais tou m’éxpliqué ça mais ça, il lé font vrément tout lé temps ? Parce que là cé lé troisième match qué tou mé montres, mais cé toujours lé mêmes images ». Donc vraiment il va te pousser pour aller loin. Il sonde, il va au bout des choses, mais il crie pas, il gueule pas. Gentil pour moi, c’est « trop bon trop con ». Et il n’est pas là dedans. Tu lui fais pas à l’envers, loin de là.

 

Les joueurs français ont une réputation de branleurs. Certains disent qu’il faut leur crier dessus pour qu’ils se bougent le cul. Il le fait ça du coup ?

Non. Il ne le fait pas comme ça. Mais il va demander aux mecs s’ils sont contents de leur match. C’est mieux, je trouve. Parce que quand tu gueules sur un mec à la sortie du match, ça marche pas. J’ai plein d’exemples et je trouve que ça ne marche pas. Lui, il va rien dire avant la sortie, il va marquer sa déception et lui demander ce qu’il pense de sa partie. Et il va être très précis : « À tel moment, tu penses que tu t’es battu pour récupérer ce ballon ? Franchement dis-moi. Si là tu penses que tu t’es battu, peut-être qu’on a pas la même définition du combat ». Donc il te met face à ta réalité, et c’est plus efficace. Il te fait avouer que t’es une merde. Si on te le dit comme ça, tu vas répondre « Ta gueule, t’es qui pour dire ça ? ». Si c’est toi qui te le dis, tu le vis pas pareil.

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Gonzalo assistant à une tentative de plaquage de Jules Plisson. 

 

Cette saison, Jeff Dubois vous a quitté pour rejoindre le XV de France. Si on t’avait proposé la même chose, tu aurais dit oui pour le prestige du poste, où tu serais parti en courant en réalisant que ça implique de passer 4 ans à travailler avec Guy Novès ?

Alors déjà comme je n’ai pas de page Wikipédia, il y a peu de chances qu’on me le propose. Après, c’est dur comme choix. Il bosse avec son ancien entraîneur et un gars avec qui il est pote. Donc je comprends qu’il y soit allé.

Mais Jeff c’est pas un mec qui y va pour le prestige du poste. Il y va parce que c’est à côté de chez lui, qu’il n’a pas besoin de déménager et va pouvoir laisser ses gamins à l’école. (il rigole) Ça lui permet d’avoir un emploi du temps un peu cool et de continuer d’aller voir les matchs au stade sans avoir la pression et les emmerdes. Sans avoir non plus à se fader les supporters à la bodega qui lui disent « ouais Jeff, on a été nuls derrière ». Ça se refuse pas.

Et pour revenir à ta question… Je sais pas. Tu dois être super flatté… Je ne saurais pas comment le prendre. Parce que ça ne m’attire pas du tout. Le côté fédéral déjà. J’aimerais pas avoir l’impression d’être fonctionnaire de mon métier. J’aime l’idée d’être remis en cause. Peut-être que je suis trop jeune. Même si Jeff est pas beaucoup plus vieux que moi. Enfin dans tous les cas, je pense qu’on me proposerait plus un truc comme la Géorgie. Mais à la limite, des expériences plus exotiques comme ça, ça me dirait, oui.

Mais le truc fédéral je peux pas. Pendant la Coupe du monde ça m’a choqué. Quand tu vois les équipes adverses en tribunes t’as des analystes vidéos de partout, des ordinateurs, etc. Tu vois l’EDF, t’as Lagisquet coincé contre un poteau, Blanco au milieu, Saint-André et trois vieux, mais tu sais pas qui c’est. T’as pas un mec dont le métier est de rendre l’équipe performante. T’as le mec qui réserve la bouffe, l’autre qui s’occupe des hôtels mais aucun rapport avec le jeu. J’ai vu la photo de Jeff sur le site de la FFR. T’as trois mecs autour d’un ordinateur, t’en as pas un qui bite quelque chose à l’informatique.

 

À propos de Dubois, à ton avis, que peut-il apporter aux Bleus ? À part son expertise en matière de coiffure.

C’est le meilleur en coiffure. Quand il va entraîner Sofiane Guitoune, ça va être un choc. Déjà quand Jeff va s’apercevoir que la veille de match, le coiffeur – parce que c’est la vérité – vient couper les cheveux des mecs, il va tomber sur le cul. Jeff, c’est un casque de Playmobil. Il va chez le coiffeur hein, mais même lui le dit « Mon coiffeur est nul. Mais il est sympa ».

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C’est pas faux.

 

Après, ce qu’il va apporter ? Plein de choses, parce qu’il est bonnard. Il est bon avec les mecs. Dans sa façon de s’adresser aux joueurs, dans sa façon de faire passer ses idées, c’est quelqu’un qui vit son rugby, qui parle avec des gestes. Et puis il va leur apporter un peu de décontraction, de folie, de ne pas trop se prendre au sérieux. C’est important franchement. Ça manque, les mecs qui abordent les matchs avec plus de sérénité. Pas la peur du résultat, de ce qu’on va dire d’eux, etc. Là dessus il va apporter plein de choses je pense. Ce côté humain. Et puis une vision. Il aime jouer au rugby, voir les joueurs prendre du plaisir. Il va pas pouvoir vivre avec des mecs qui pensent à leur carrière. Il va leur rappeler d’où ils viennent, les raisons pour laquelle ils aiment le rugby.

Et tu penses qu’il réussira à faire ça, malgré la figure de Novès au-dessus qui ne lui laissera peut-être pas autant de libertés que Gonzalo et la pression des résultats qui pèsera sur le groupe et qui a tendance à empêcher les joueurs de se lâcher ?

Je suis pas sûr que Novès soit comme ça. J’ai pas d’opinion. Je crois qu’il est aussi un peu à l’ancienne, qu’il aime bien que les joueurs prennent du plaisir dans ce qu’ils font. Et il a un tel palmarès qu’il en a rien à branler de la pression de la presse. Je pense que du coup il ne la répercutera pas sur les joueurs. Quand il était à Toulouse et que le Stade Toulousain était en difficulté, il ne s’en prenait pas aux joueurs. Il s’en prenait au calendrier, aux doublons, mais quasiment jamais à ses joueurs.

La suite de l’interview (avec des questions bien connes) la semaine prochaine.