La Liste de Saint-André
par Ketchup-Mayol

  • 13 March 2015
  • 13

 

 

Par Ketchup-Mayol,

 

Vous aurez remarqué que de temps en temps quand plus personne n’a de conneries à raconter, la Boucherie se fend d’un article dit « sérieux ». « Sérieux », chez nous, ça veut dire qu’il y a un peu moins de jeu de mots pourris et de .gif de chats, donc ce mot est à prendre avec des pincettes. Mais enfin, c’est le genre d’article qui fait dire dans les commentaires « Ça fait du bien de lire des articles de fond sur la Boucherie. Bon, c’est quand le prochain diaporama ? »

Alors que le Tournoi des 6 Nations arrive dans sa dernière ligne droite, c’est l’occasion de dresser un petit bilan sur une des mesures phares de la convention entre la fédé et la ligue, à savoir la liste des joueurs préservés pour le XV de France, un peu moins d’un an après sa mise en œuvre.

Joueurs préservés, kesseucé ?

Le but de la liste était de ménager 30 joueurs afin qu’ils soient frais pour les matches en bleu. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, la santé des rugbymen étant un sujet de préoccupation de plus en plus important, n’en déplaise à ceux qui se plaignent qu’on détestostéronise le sport et qu’avant, y avait pas des trucs de tarlouze comme des protocoles commotion et autres #lerugbybientotentutu.

Entre le moment où la liste est établie (vers mai) et la fin de saison, tout joueur sur cette liste ne peut jouer plus de trente matches hors phases finales de championnat et de Coupe d’Europe. Entrent donc dans le décompte les 26 journées de Top 14, les 6 matches de poule de Coupe d’Europe, les matches amicaux, les sélections avec les Barbarians, les tests matches et le Tournoi. Sachant que ne seront décomptés que les matches où le joueur passerait plus de 20 minutes sur le terrain. Ca va, tout le monde suit ?

 

OK ! Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, la santé des rugbymen étant un sujet de préoccupation de plus en plus important, comme le montrait le très instructif « Jeu de Massacre » de L’Equipe Explore. On peut difficilement espérer briller à l’international avec des joueurs cramés, c’est d’ailleurs pourquoi on maintient les tournées d’été, justement, pour ne pas l’oublier.

Pas besoin d’être Grand Vincent Clerc pour deviner qu’une des fonctions officieuse de cette liste était de mettre fin aux rumeurs de navigation à vue du staff, d’envoyer un message fort que nous sommes prêts pour la Coupe du monde. Ça tombait à pic, on commençait à avoir épuisé les possibilités de charnières et de postes à faire jouer à Sébastien Vahaamahina du côté de Marcoussis.

 

Des questions légitimes

Qui dit liste dit joueurs sur la liste et joueurs pas sur la liste. Quels critères vont justifier la présence d’untel et l’absence d’un autre ? Les résultats de la saison ? La forme du moment ? Divination à partir d’os de coq ? Mystère. On retrouve sur la liste plein de Toulousains, de Clermontois et de Parisiens rose et bleu, pour trois représentants du double champion d’Europe et champion de France – dont Frédéric Michalak, pas vraiment un perdreau de l’année. Rémi Talès doit avoir des photos compromettantes de Serge Blanco et Pierre Camou, sa présence ne peut s’expliquer autrement. Le seul joueur qui soit là pour une raison claire et évidente, c’est François Trinh-Duc, sur la liste des 30 rien que pour qu’il joue moins avec le MHR et pour le plaisir sadique de ne pas le sélectionner.

Un groupe de 30, pourquoi ? Parce que c’est deux fois XV ? 30 secondes chrono ? Les Trente Glorieuses ? Deux polos Serge Blanco ?

Une liste c’est bien beau, mais ça cause des soucis. Il y a ceux qui sont sur la liste et ceux qui sont pas sur la liste. L’ennui pour ceux qui sont sur la liste c’est qu’ils se croient arrivés et qu’on crée de fait des fonctionnaires de l’EDF qui arrêtent de se lever le cul puisqu’ils sont sur la liste. Vous me direz, à 30 y a de la concurrence, mais il y a 23 places à pourvoir et outre les blessures, c’est plus facile d’être en concurrence avec qu’un ou deux types.

Parmi ceux qui n’y figurent pas, il y a ceux qui n’ont pas le niveau international donc on s’en fout, et ceux qui ont le niveau international et qui marronnent de ne pas être sur la liste et celui qui marronne au point de vouloir démontrer au sélectionneur qu’il a bien eu tort de ne pas le mettre sur la liste. Maxime Mermoz, donc.

 

Ça va pas être possible M’sieur Mermoz, c’est une soirée privée.

 

Rétropédalage

Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir les limites de la liste puisqu’elle a été élargie dès la tournée d’été en Australie. Les Toulousains en méforme ont été remplacés par un contingent de néo ou futurs Toulonnais (Ménini et Guirado) légitimé par le doublé d’autant plus historique qu’il était impossible. On a sélectionné Le Bourhis, très en vue au centre à l’UBB pour le faire jouer à un autre poste (et on l’a jeté après un match merdique sans même lui laisser une chance de se refaire la cerise, je sais pas, au talon par exemple. Pas de jurisprudence Vahaamahina, donc). Mais surtout, PSA a préféré faire venir un Titi Dusautoir cramé plutôt qu’un François Trinh-Duc en forme. Je ne serais pas surpris si le jour où il quitte ses fonctions de sélectionneur, PSA se retrouve convoqué devant la Cour Pénale Internationale pour cruauté.

En septembre, c’est carrément 30 joueurs supplémentaires qui viennent compléter la liste initiale, sans que la règle des 30 matches ne s’applique à ces nouveaux venus. Hmmm… Encore le chiffre 30. Et puis si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle veut bien prendre sa part d’étrangers talentueux. Circulent ainsi 14 noms, dont celui de Rory Kockott – dont le nom et l’attitude qui évoquent les girouettes des clochers de nos églises le rendent pratiquement Français de facto – Uini Atonio, Scott Spedding, voire David Smith ou « ce poison/diable de » Steffon Armitage ©.

Pour la tournée d’automne, le staff de l’EDF va allègrement piocher dans cette liste élargie, titularisant des petits nouveaux (Ollivon, Thomas, Dumoulin…) et des zétrangers, et c’est ainsi que 40 ans après Mike Brant, Scott Spedding refait chavirer la France avec « Rrrrrrien qu’ine larrrrme dons teeeees zyyyyyeux …».

Le groupe retenu pour le tournoi 2015 passe à 31 joueurs, comme ça, sans doute pour emmerder les numérologues qui s’interrogeaient sur le chiffre 30. Et là, le constat est quand même accablant. Pas moins de 13 joueurs de la liste initiale n’y figurent pas. Certes, il y a des blessés comme Dulin, FTD (ah oui là il a une excuse) ou Michalak dans le lot. D’autres n’ont plus été vus en bleu depuis des mois, comme Szarzewski, Bonneval, Machenaud ou Burban.

 

Effets Pervermeulens

Ce système de liste a un certain nombre d’effets pervers pour les clubs et les joueurs. Pour les clubs, il est souvent délicat de gérer son effectif sur une saison quand on joue sur deux tableaux, ce qui est le cas de la plupart des clubs fournisseurs officiels de l’EDF, à l’exception notable du Castres Olympique, dont on ne peut dire que les ambitions européennes les aient jamais étouffés. Les sélections internationales pèsent déjà lourd, n’est-ce pas monsieur Novès ? La convention devient un véritable casse-tête pour les clubs qui doivent veiller au temps de jeu de leurs internationaux. Sur le plan financier, c’est pas mieux. Les clubs payent des salaires conséquents à des joueurs qu’ils ne peuvent pas utiliser quand bon leur semble, et qu’on risque de leur rendre tout cassés (genre après des tests matches estivaux qui ne servent à rien). Pas besoin d’être Mourad Boudjellal pour se rendre compte qu’il y a un souci.

Là où la situation devient absurde, c’est pour les joueurs hors-liste convoqués alors qu’ils sont mis au repos par leurs clubs, et que des joueurs préservés ne peuvent pas jouer autant qu’ils le pourraient alors qu’ils ne sont pas sélectionnés. Laurent Labit s’était ainsi insurgé contre les sélections de Thomas ou Dumoulin alors que Machenaud, Szarzewski et Claassen étaient dédaignés.

 

 Avant, j’étais talonneur du XV de France. Mais ça c’était avant.

 

Pour les joueurs, il y a le risque de se croire arrivés et que sous prétexte qu’on est sur la liste, on n’a plus besoin de bosser les passes. Mais en outre les choix du staff peuvent avoir des effets psychologiques sévères pour certains joueurs et considérablement handicaper leur jeu. L’exemple de Mathieu Bastareaud est le plus flagrant. Condamné à jouer les utilités dans son club en ne jouant que 20mn par match, pour se retrouver dans la même situation en EDF, le manque de confiance et de temps de jeu avaient fini par créer un cercle vicieux jusqu’à provoquer un mini nervousse brékdone à en émouvoir jusqu’à André Boniface lui-même, c’est dire.

Car si le rugby est devenu un sport de plus en plus violent physiquement, il l’est également devenu psychologiquement, et le système de professionnalisation ne fait qu’aggraver cette situation. Mais ça, ça pourrait faire l’objet d’un autre article « sérieux ».

Cette histoire de liste semble donc une fausse bonne idée et nous rappelle si besoin en était qu’à l’instar de l’Avenue des Légendes, l’Enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Conclusion

Alors elle sert à quoi, finalement, cette putain de liste ? Si on récapitule, elle était censée préserver les joueurs et montrer qu’il y avait un pilote dans l’avion XV de France. Au lieu de quoi on se retrouve avec plus de confusion, des joueurs déboussolés avec en prime le stress de l’échéance de la Coupe du monde. Bref, l’avion XV de France semble avoir été affrété par Malaysian Airlines. Pas évident dans ces conditions que ce gadget soit reconduit cette année, de toutes façons, tout se perdra dans le tintouin de la CdM puis l’équipe PSA tirera sa révérence, quel que soit le résultat. Mais cette liste aura au moins eu la même utilité que la nomination de Serge Blanco pour épauler Saint-André : donner du grain à moudre aux journalistes et détourner l’attention du bilan médiocre du XV, ne serait-ce qu’un temps…

 

Tout va bien, il y a un pilote dans l’avion…