Top14 : Le “Produit” Intérieur Brutes
par Ketchup-Mayol

  • 08 September 2014
  • 27

 

par Ketchup-Mayol

(@KetchupMayol)

 

En donnant les grandes lignes de son “New Deal” en avril dernier, Paul Goze annonçait son intention de punir les propos qui “dénatureraient” le “produit Top 14”. Beaucoup se sont indignés de la menace qui pourrait peser sur la liberté d’expression que cette saillie promettait, mais rares sont ceux qui ont réagi au mot “produit” dans la bouche du président de la LNR. Enfin, rares dans les vrais médias professionnels, ceux qui sont payés à faire des trucs plus sérieux, pas comme certains “blogueurs de supérette” que je ne nommerai pas, qui eux ne se sont pas privés d’ironiser sur le terme jusque dans leur bannière…

Ainsi donc, v’la-t-y pas que l’incarnation de l’élite du rugby français est un produit. Comme un vulgaire paquet de lessive. Ah ben ça par exemple…

Je ne comprends pas. On m’avait dit que le Football ça oui, c’est un business sans âme, un “produit”, comme dans son acception de substance addictive, le nouvel opium d’un peuple de décérébrés. Le Rugby, c’était des Valeurs pour la vie qui faisaient que plus tard, on court derrière des petites vieilles pour leur rendre le sac qu’elles ont laissé tomber 200m avant sans s’en apercevoir (enfin ça, c’est la pub version rugby féminin. Vous imaginez la gueule de la petite vieille qui se retournerait et qui verrait Mamuka Gorgodze lui courant derrière pour lui ramener son sac ? C’est la crise cardiaque assurée !).

Des Valeurs d’entraide, d’abnégation, de sacrifice, de virilité, de respect de l’adversaire à grands coups de mornifles.  Si Clausewitz avait vécu pour connaître la Bagarrrrrre, nul doute qu’il aurait dit du rugby qu’il est la continuation de la guerre par d’autres moyens, sauf qu’à la fin, tout se termine autour de plusieurs litres de bière en braillant la Pitxuri. A des années-lumières des valeurs fric.

Le rugby ? Un produit ?

 

Le jambon de Bayonne : des sensations pures

 

Ceci n’est pas un édito de Jacques Verdier (de toute façonil est mort). Il ne s’agit pas de verser dans le #cétémieuavant. Même au temps béni de l’amateurisme, les compensations financières existaient. Mais le passage au professionnalisme, on a vu ce que ça a donné pour le  foot. Entre les courses à l’armement des clubs à grand renfort de stars planétaires et la renégociation des droits télé à la hausse, le rugby démontre qu’il suit la même direction, et les mêmes causes produisant les mêmes effets, comment s’étonner qu’il n’en soit pas autrement ?

Sauf que voilà, dans le cas du rugby, cette dérive financière clashe avec la stratégie marketing qui avait été adoptée jusque là pour le promouvoir, à savoir les sacro-saintes Valeurs.

Le côté rugby “du terroir” si typiquement français existe, c’est un fait, mais on en a rajouté dans le côté folklorique pour lui donner une spécificité, une AOC par rapport à des pousse-citrouilles apatrides et âpres au gain. Là où dans des pays comme l’Angleterre ou l’Argentine, le rugby est considéré comme le sport d’une élite issue des public schools ou des meilleures universités, le rugby en France est un sport de gros rustiques qui s’expriment en utilisant force métaphores et mots de plus de trois syllabes avec un accent du sud à couper au couteau. Le tout baignant dans une espèce de mystique lyrico-plouc qui se veut aux antipodes du bling-bling.  Ceci explique peut-être le retard pris lors du tournant du professionnalisme par rapport aux autres nations.

Ainsi, lorsque Max Guazzini a débarqué avec ses stars internationales, ses maillots de “tarlouze”, ses calendriers de mecs à poil et ses pom-pom girls, les puristes ont crié au scandale. Le pognon et le spectacle s’étaient invités en Ovalie et n’en repartiraient plus. Il est bon de noter, qu’après avoir été conspué, Max est désormais respecté pour le rôle qu’il a joué dans la modernisation du rugby français. Il est même devenu vice-président de la LNR.

Bonjour, vous !

 

Une quinzaine d’années plus tard, c’est Mourad Boudjellal  qui va s’attirer les foudres des instances en faisant venir en masse des stars de l’hémisphère sud. Eric Champ, c’est sympa, mais c’est du local, coco, c’est pas bankable. Tana Umaga, par contre, tout le monde sait qui c’est. Depuis, nombreux sont ceux qui se sont engouffrés dans la brèche. Les clubs ne sont plus la vitrine de la formation locale mais de véritables marques.

Les joueurs eux-mêmes ont fini par devenir des produits. Le rugby reste un sport confidentiel, donc ils ne sont pas légion, ceux qui ont durablement percé dans la pub, et celui qui a le mieux réussi est plus connu pour ses performances capillaires que sur le terrain. Mais quoi qu’il en soit, tous sont transformés en hommes-sandwichs  chaque week-end, au point qu’il va bientôt devenir difficile de distinguer la couleur des maillots.

Quand Fabien Pelous aime, Fabien Pelous raccourcit

 

Alors quoi de nouveau sous les éditions Soleil ? Sur le fond, que dalle. Le rugbusiness n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui est nouveau c’est qu’il devient assumé. Oh certes, on condamne encore les francs-tireurs à la Boudjellal : on les traite d’iconoclastes, on condamne leurs propos qui dénaturent le produit. Mais on profite de la manne que leurs rodomontades ont contribué à obtenir de Canal+. On y gagne peut-être un peu d’hypocrisie en moins : désormais, les gardiens du temple en sont aussi les marchands.

 

“Vengeaaaaance !”

 

Le foutage de gueule ultime qui illustre ce mélange des genres reste quand même la vidéo WeAreBlanco déjà moquée ici où un commentateur sportif , des joueurs, dont un ancien reconverti dans le marketing sportif et surtout l’entraîneur le plus emblématique du rugby français viennent nous bassiner avec les Valeurs © pour nous asséner in fine que la marque Serge Blanco, et ben c’est tout pareil. La confusion est totale, on aboutit à un oxymore orwellien où une chose finit par signifier son contraire  (vous remarquerez que j’ai attendu la fin pour sortir un mot comme “oxymore” – non, ce n’est pas le frère de Cudmore – dans un souci de conserver un maximum de lecteurs jusqu’au bout).

Alors t’en penses quoi de ton produit Top 14 (ou devrait-on le rebaptiser tout simplement ‘le Prod8’) ? Est-ce que tu l’échangerais contre deux barils d’Aviva Premiership ? Mais fais gaffe à ce que tu réponds. Faudrait voir à pas dénaturer le meilleur championnat d’Europe du monde.

 

 

 

PS : Une vraie pub s’est glissée dans cet article. Sauras-tu la trouver ?