Tuto : Comment devenir un joueur maudit en Equipe de France ?
par Pierre Villegueux

  • 09 May 2014
  • 26

 

Par Pierre Villegueux,

 

Que serait le XV de France sans ses célèbres bannis ? A chaque sélectionneur, à chaque époque, nous avons vu un ou plusieurs joueurs de talent se retrouver systématiquement écarté de l’équipe nationale, pour des raisons plus ou moins obscures. Jo Maso, Denis Charvet, ou plus récemment Florian Fritz, tous ont eu à un moment cette étiquette du « banni », du joueur « maudit », ce qui permet aux journalistes âgés de 110 ans comme Jacques Verdier de raconter de jolies histoires dans leurs livres célébrant la nostalgie du temps d’avant de quand c’était mieux que maintenant.

 

En 2014, le joueur à qui échoue ce rôle d’anti-héros romantique est donc François Trinh-Duc. En grande forme avec Montpellier, le demi d’ouverture n’a plus connu une titularisation en Bleu depuis plus de deux ans. Et il vient d’être éjecté hors du groupe France pour la tournée en Australie. La Coupe du monde 2015 s’éloigne donc pour celui qui avait déjà connu l’édition précédente sur le banc, alors qu’il était promis à une place de titulaire.

 

Etre un banni de l’équipe de France a néanmoins ses avantages. Se construire une légende, déjà. Le rôle de paria, du rebelle, de l’Homme écrasé par la puissance des institutions, ça a de la gueule. Puis surtout, par les temps qui courent, il est peut-être préférable d’être rejeté de l’équipe de France que de devoir se taper des défaites humiliantes à chaque Tournoi des VI Nations.
Pour vous, nous vous offrons donc le guide ultime pour devenir un joueur maudit de légende.

 

Soyez un peu artiste. Mais attention, un artiste incompris.

 

« Un peu artiste », c’est à dire un peu comme ce branleur de terminale L qui portait des bonnets péruviens et qui réussissait à séduire toutes les plus belles meufs du lycée, malgré ses cheveux gras et le fait qu’il était un cancre notoire.

 

François Trinh-Duc, qui sera notre exemple tout au long cette leçon, possède évidemment cette fibre romantique de pseudo-artiste incompris, bien qu’il demeure relativement bien peigné. A la base, il dispose évidemment d’un talent très au-dessus de la moyenne. Il est capable de gestes Carlos-Spenceresques comme des passes entre les jambes ou des chistera de la mort. Solide gaillard, il est peut également renverser des golgoths néo-zélandais pour aller marquer des bons gros essais de bourrin.

 

Mais. Mais François Trinh-Duc ne fait pas l’unanimité. Déjà à cause de son attitude. Dans son bouquin, Marc Lièvremont (qui l’a lancé en équipe de France à une époque où il était encore moins connu qu’un joueur d’Oyonnax) le définit volontiers comme un joueur talentueux mais fainéant, et surtout imperméable à toute remise en question. La branleur-attitude est un point à ne jamais négliger : si vous êtes bons et qu’en plus vous avez une réputation de bosseur, vous risquez de finir comme Jonny Wilkinson, ce qui n’est pas notre objectif ici.

 

Ensuite, François est également critiqué à cause de son jeu. Beaucoup lui reprochent de ne pas être le chef d’orchestre dont le XV de France a besoin, mais un soliste, qui attaque trop souvent la ligne et joue pratiquement comme un centre. Parmi ses points faibles, on cite également son jeu au pied erratique. Même si FTD semble avoir progressé sur ce point, puisqu’il est même devenu un buteur fiable depuis peu – une métamorphose à confirmer pendant les phases finales toutefois – il est probable que cette étiquette lui collera à jamais à la peau quoiqu’il fasse, et que le moindre coup de pied contré dans ses propres 22 mètres annihilera tous ses efforts.

 

C’est là un point crucial : cultivez vos points faibles ! Si vous n’en avez pas, vous risquez d’être qualifié de « joueur complet », soit le pire compliment qu’on puisse faire à un ouvreur français. Exemple : Rémi Talès est un ouvreur complet.

 

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 François Trinh-Duc recevant une passe de Pascal Papé à l’entraînement. 

 

 

Misez sur la nullité des autres.

En toute chose, il y a un fait essentiel qu’il ne faut jamais oublier : les gens n’ont aucune mémoire. Il suffit d’un essai encaissé sur interception pour qu’ils décident soudainement de brûler celui qu’ils idolâtraient deux secondes plus tôt. Le meilleur exemple est bien sûr Frédéric Michalak, sorte de François Trinh-Duc version Boys Band du début des années 2000, qui est passé de petit génie du rugby français à sombre merde au moins 436 fois au cours de sa carrière, comme un acteur qui alternerait constamment les rôles de héros et de pourritures au cinéma.

 

Ainsi, peu importe si vous-même, vous avez été mauvais en équipe de France par le passé. Les gens finiront par l’oublier au bout d’un certain temps. Et si vous avez un peu de chance, vos concurrents ne s’en sortiront pas mieux que vous, et vous pourrez même passer pour le sauveur !

 

Dans ces cas précis, nous avons donc Frédéric Michalak, qui peut faire gagner son équipe par 30 points d’écart dans un bon jour, et la faire perdre par 200 quand son cerveau décide de faire n’importe quoi. Remi Talès, qui est un bon joueur de rugby, mais qui n’a pas réalisé une seule action lui permettant de faire plus de 10 000 vues sur youtube, ce qui fait donc de lui un gros nul aux yeux du grand public qui ne regarde jamais les matchs du Top 14, et encore moins ceux du CO. Jules Plisson est jeune et inexpérimenté : pour lui la H Cup est une compétition de tennis, et il ressemble trop à un enfant des Choristes pour apparaître comme un leader charismatique.

 

Devant la nullité réelle ou supposée de ses concurrents, il est donc facile pour François d’apparaître actuellement comme le Messie, comme le seul sauveur du rugby tricolore, quand bien même il n’a jamais vraiment su être totalement convaincant en Bleu. Le mythe de l’homme providentiel, c’est un truc très français au final. Si vous êtes impopulaire, disparaissez pendant 3 ou 4 ans, et les gens commenceront soudainement à vous trouver génial. C’est d’ailleurs avec ce genre de raisonnement que Jean-Jacques Goldman réussit à être l’homme le plus populaire de France, ou bien encore qu’on a de bonnes chances d’élire un repris de justice incompétent en 2017. Puisque je vous dis que ça marche dans tous les domaines !

 

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 François, éloigne toi de cette corde tout de suite, ça n’en vaut pas la peine !

 

Comptez sur des soutiens de poids

Les journalistes sportifs ne servent pas à grand chose en général : ils se contentent de donner leur avis sur un sport qu’ils maîtrisent plus ou moins bien, en attendant que leurs titres de presse à l’agonie depuis des années finissent par se faire euthanasier. Néanmoins, ils peuvent vous être utiles s’ils sont vos copains, et c’est assez facile de devenir leurs copains, car ils aiment bien apparaître en photo avec des gens connus.

 

Là-dessus, François Trinh-Duc peut compter sur un soutien de poids : celui de son entraîneur – à mi-temps – au MHR, Fabien Galthié. Galthié qui est également consultant à France 2, l’Équipe, Europe 1, la Tribune de Genève, The Botswana Gazette , le journal de Mickey, Femme actuelle ou encore Zouzous magazine. Mais aussi celui de Mathieu Lartot, qui fait tout comme Fabien Galthié dans la vie, au point qu’on l’annonce au casting d’un futur épisode de Joséphine Ange-Gardien. Et enfin celui du blogueur influent Guy Moux, qui entre un tweet sur le conflit israelo-palestinien, le Tour du Haut-Var ou la nouvelle émission de Laurent Ruquier, ne manque jamais d’affirmer que François Trinh-Duc est le meilleur ouvreur de France.
Avec une telle équipe de lobbying, il vous suffit de rester silencieux dans la presse et d’à peine commenter les annonces de sélection. Le travail sera fait pour vous.

 

Gardez le mystère sur les raisons de votre éviction

Les rumeurs sont une bonne chose. Elles ne feront qu’alimenter votre légende naissante. Ainsi, on a pu entendre que Florian Fritz aurait insulté la femme de Bernard Laporte et pissé sur les chaussures de Jo Maso. C’est probablement pas vrai mais c’est très rigolo, donc on a envie d’y croire. Laissez donc les gens parler, laissez-les fantasmer. Ou au pire, glissez quelques bobards à vos amis journaleux, qui s’empresseront de les relayer, croyant tenir un scoop digne de Mediapart qui justifiera enfin le fait qu’ils possèdent une carte de presse. Par exemple, inventez une histoire de type « PSA détesterait FTD depuis qu’il a chopé une gastro en mangeant vietnamien en 1993 ». Plus c’est gros, plus ça passe, comme diraient les frères Lamont.

 

Surtout, ne revenez jamais en sélection !

Dans votre tête, vous imaginez le scénario rêvé : après vous avoir boudé pendant des années, le sélectionneur national s’assoit sur son orgueil et vous rappelle sous les drapeaux. Dos au mur, il décide de vous confier les clefs du camion. Et là, comme vous êtes naïfs, vous imaginez une revanche, un happy end. ATTENTION ! C’EST UN PIÈGE !

 

Sachant sa crédibilité au plus bas, son espoir d’améliorer son bilan catastrophique éteint, le sélectionneur ne vous fait pas une fleur. Ce n’est en rien un geste de reconnaissance tardif. Non, c’est une ultime pirouette, un coup de pute digne des meilleurs N°9. En fait, il vous met en première ligne pour que vous alliez vous faire fusiller à sa place. Ainsi, si vous êtes nul, ce qui est très probable (soyons réaliste, un joueur, aussi bon soit-il, ne changera pas le destin d’une équipe de merde à lui seul), il lui sera facile de se dédouaner et de dire « Bon et bien je l’ai sélectionné sous la pression médiatique, vous avez vu le résultat ! ».

 

François Trinh-Duc a malheureusement fait cette erreur en acceptant d’être titularisé à l’ouverture contre l’Angleterre à Twickenham en 2013. Un match qui restera probablement comme le tombeau de sa carrière internationale sous l’ère de Philippe Saint-André. Mais il n’est pas le seul à s’être fait avoir : avant lui, Bernard Laporte avait utilisé cette technique de fourbe pour se débarrasser définitivement de joueurs dont il ne voulait plus pour la Coupe du monde 2007, comme Dimitri Yachvili, Pascal Papé ou Thomas Castaignède.

 

Il vous reste alors une unique option : refuser la sélection, sous prétexte que vous êtes vexé d’avoir été ignoré si longtemps. Dans un premier temps, vous serez critiqué par une belle bande de fachos patriotes en furie sur les forums de Rugbyrama et du Rugbynistère. Parce que soi-disant on ne refuse pas une sélection nationale (NDRL : n’importe quoi, moi j’ai bien refusé un CDI au Midi-Olympique). Mais encore une fois, n’oubliez pas que les gens n’ont aucune mémoire. Quelques années plus tard, quand tout se sera tassé, ils ne vous considéreront non plus comme un traître à la patrie, mais comme un rebelle, un insoumis, un esprit libre.

 

Regardez Guy Novès, qui a refusé le poste de sélectionneur du XV de France parce que son orgueil de papy aigri était blessé d’avoir connu une carrière de joueur plus qu’anecdotique en Bleu. Ou encore en football, Éric Cantona, devenu une idole absolue parce qu’il avait traité son entraîneur de sac à merde. Etre le gendre idéal ne vous emmènera qu’à une chose : devenir Yannick Nyanga, être considéré comme le coéquipier modèle et passer votre vie sur le banc de touche. Affirmez-vous, merde !

 

Pour conclure, quelques conseils pour François :

 

  • Assure-toi de ne jamais briller lors de matchs retransmis aux heures de grandes écoutes sur Canal +. Sport +, Rugby +, ça passe : PSA n’est pas abonné. Bien sûr, pas question d’être bon en H Cup non plus. Mais sur ce point, on peut dire que tu auras été irréprochable cette saison.

 

  • Par contre, n’oublie pas de faire des actions bien spectaculaires de temps en temps pour passer sur le Rugbynistère. Ainsi, après avoir visionné une chistera réussie dans tes propres 22 mètres (inutile mais jolie), les Jean-Michel Cequelchaine de toute la France affirmeront : « FTD c le meiyeur t vraimen qu’un sale con psa !!!! ».

 

  • En Interview, prends la posture de la victime. Mais pas trop. Personne n’aime les pleureuses, à part les Toulousains qui ont décidé de faire de Guy Novès leur Dieu vivant. Contente-toi de simuler l’humilité : « J’ai beaucoup travaillé pour revenir, alors forcément, je suis déçu… mais je respecte le choix de l’entraîneur. C’est la vie. Je continuerai à me battre pour reporter le maillot bleu ». Et si tu finis par être rappelé, tu refuses subitement ! Ainsi tu tiendras une affaire qui fera la polémique pendant des mois, et ta légende sera en marche.

 

  • Pour renforcer le mystère autour de ta personnalité, sois discret. Et arrête les pubs ridicules. Mennen, sérieusement ? On sait bien que tu es totalement imberbe, te fous pas de notre gueule.

 

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 Pendant que vous y êtes, vous voulez pas vous occuper des sourcils de Yoann Huget ?