Critique : Top 14, la bande dessinée, tome 1.
par La Boucherie

  • 16 April 2014
  • 27

 

Par Capitaine A’men’donné

 

TOP 14 tome 1

ou

Psycho-philosophie des valeurs rugby en zones urbaines et suburbaines chez l’adolescent moderne, en Bayday.

Par Ferré (scénario), Lannes & le Roc’h (dessin) et Lagrue (couleurs),

Le rugby français va mal. La formation est en berne, l’équipe de France ne fait pas rêver, le Racing est en passe de se qualifier pour les phases finales, alors que l’USAP, l’ami des petits et des grands, pas trop, et Ouin-Ouin fait peur aux enfants avec sa tête de Caliméro hydrocéphale sous anxiolytiques. Aussi, pour ramener le Futur de la France vers les terrains de rugby, la LNR, tel le joueur de flûte de Hamelin, et toujours à la pointe de l’innovation, a décidé d’investir dans le livre, cette technologie d’avenir.

Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est Soleil, la maison d’édition fondée par Mourad Boudjellal qui s’y colle. Le service propagande marketing de la LNR a bien remarqué que le jeune d’aujourd’hui était en quête de repères, obnubilé qu’il est par la drogue, les jeux vidéos, le droit fiscal, les putes et -pire- le foot. Et quoi de mieux qu’un ersatz de manga pour montrer la lumière à nos jeunes âmes perdues ?

La base du scénario est donc un classique qui a fait ses preuves dans la littérature d’édification des puceaux illettrés: un jeune adopté va accomplir son destin, et à son corps défendant, partir sur les traces de son vrai père. Nous suivrons donc le trajet vers les sommets de Oliver Atton Œdipe Jésus Luke Skywalker Sangoku Jérémy dans le monde du rugby.

Pour cette première leçon, nous nous attacherons à ce qui fait la spécificité de ce sport, et qui fait qu’il est vachement plus meilleur que les autres, à savoir les Valeurs©.

Et ça attaque tambour battant avec un numéro 8 du Stade toulousain qui fait une passe après contact. Pourquoi pas, après tout, BD et SF ont toujours fait bon ménage. Et avec un postulat de départ aussi délirant, peut-être se dirige-t-on vers un sommet d’humour absurde ? Ensuite, tout le monde remercie tout le monde : la passe était super, non c’est toi qu’a été trop super d’être au soutien, non c’est toi, raccroche le premier, etc. etc. En tout cas, 2 pages de passées, et l’on est déjà en surdose de bons sentiments.

Mais cette habile introduction nous permettra d’entrer dans le vif du sujet : la LNR crée une équipe de jeunes selon le principe bancal de prendre un joueur dans chaque équipe de top14, comme ça tout le monde est content. Apparemment, personne n’est au courant que la FFR a des équipes de France dans toutes les catégories jeunes. Mais passons. Les joueurs sont choisis « par rapport à leurs qualité mais aussi et surtout par rapport à leur état d’esprit, » (non-ponctuation d’origine). Le tout s ‘appelle Top team, et les chocapics y sont gratuits et à volonté, professionnalisme oblige.

Ce n’est qu’à la page suivante que l’un des jeunes sélectionnés réagit : « Si un espoir de chaque club du top14 est sélectionné pour la top team … ça ne fera que 14 joueurs ! Il manque quelqu’un pour arriver à 15 ! » Il faut dire que le gamin en question est asiatique ET auvergnat (un jaune et bleu d’Auvergne, quoi), c’est dire s’il a des aptitudes innées au calcul. On se demande bien qui sera le 15ème (puisqu’apparemment, il n’y a pas de remplaçants). Une transition aussi délicate qu’une action de Florian Fritz nous amène alors vers notre héros, Jérémy. Le suspense est d’ores et déjà à son comble.

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Mais qui sont ces gens ?

Il se prépare pour aller voir un match, une espèce de all-star game avec les meilleurs joueurs du top 14 contre les meilleurs de l’hémisphère sud. A trois minutes de la fin, catastrophe, Picamoles se blesse. Comme il n’y a pas de remplaçants dans cette équipe non plus, il faut quelqu’un. Et Jérémy lui-même, du haut de ses 12 ans est appelé sur le terrain pour le remplacer en tant que deuxième centre (cherchez pas), et marque l’essai de la victoire ! Mais en fait c’était un rêve ! Je m’en suis pas douté un seul instant (même si l’hypothèse d’un biopic de Brice Dulin n’est jamais à exclure) ! Ahlala, mais où vont-ils chercher tout ça ?

J’avais pas vu un tel retournement de situation depuis la marche arrière de la LNR au sujet de la coupe d’Europe. Au passage, notons que dans son rêve humide de rugby, figurent dans l’équipe idéale de Jérémy Hegarty, Méla, Picamoles, Bastareaud ou Harinordoquy. Donc le jeune Jérémy a quand même de sérieuses tendances psychopathologiques. On peut d’ailleurs s’interroger sur le choix des auteurs en la personne d’Harinordoquy. Peut-on vraiment faire rêver les enfants d’aujourd’hui avec un joueur dont l’apogée de la carrière se situe au XIX° siècle ?

Mais revenons à notre puceau. Il est élevé par sa grand-mère acariâtre qui l’empêche de jouer au rugby (SPOILER : on apprendra dans quelques tomes que d’une manière ou d’une autre elle attribue au rugby les décès de sa bru et de son fils et qu’en fait elle n’est pas méchante. Révélation prévue dans, disons, le tome 4, ou 5, en fonction de l’humeur des auteurs et des ventes en librairie. Ça sera un flash-back plein d’émotions vraies, et l’histoire de la mort des parents sera une parabole qui aidera Jérémy à mûrir, en tant qu’être humain et en tant que joueur.

Non, j’ai pas lu les tomes suivants, ils sont pas encore sortis, mais j’ai lu d’autres livres, entre autres des mangas de sport, et c’est un passage obligé quand le scénariste a renoncé à toute forme d’originalité. C’est con, les meilleurs en la matière sont justement ceux qui évitent les poncifs lénifiants. Je vous conseille Eye Shield 21, Touch, ou Ashita No Joe, 3 chefs d’œuvres du genre. Ouais, ça parle pas de rugby, mais c’est bien quand même. Mais bref).

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Le dessinateur a su capturer l’intense pétillement d’intelligence qui se dégage du regard d’Imanol.

 

Ensuite, sur le chemin de l’école nous faisons connaissance avec le maichant de l’histoire. Il s’appelle Boris, car les prénoms russkofs ça fait toujours bien pour les maichants. Surtout en ce moment. Le rugby, c’est le partage, mais pas avec tout le monde, non plus. Pour vous dire si Boris est le mal incarné, il a rien compris aux valeurs du rugby -non, rigolez pas, c’est marqué comme ça dans la BD. Il pense même que le principe du rugby c’est « Fais aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse ». Alors qu’on sait tous que le rugby n’est qu’amour et bisous, la preuve en étant le jeu de la biscotte. Puis Jérémy arrive à son école, et nous avons la chance de faire connaissance avec Solène, la fille la plus populaire du collège, et ex de Boris (et, autant le dire tout de suite, future de Jérémy).

Cela permet donc aux auteurs de montrer l’une des figures folklorique du monde du rugby, qui existe dans chaque club, j’ai nommé la groupie à buteur (existe aussi en modèle pour piliers, ¾, troisième ligne, numéro 9 même, mais pas pour les seconde ligne, car il est temps de révéler ce que tout le monde sait mais n’ose dire : les secondes lattes ce sont tous de gros pédés ! Nonobstant, c’est quand même pratique, cette histoire d’anonymat sur internet, en fait.) Bon, tout le monde est là, ya un maichant, un gentil puceau, une radasse, un père disparu, on peut peut-être enfin commencer vraiment l’histoire ?

Bé non, puisque le gamin se lamente sur son sort, et met un portrait de Yachvili au-dessus de son lit pour se sentir mieux (?). Et, regardant le classement du top14 (faut dire que le classement actuel de Biarritz est toujours une blague de bon aloi), se demande s’il pourra un jour jouer au rugby. Non, parce que, on en est qu’à la moitié du tome 1 d’une série sur le rugby, ça serait quand même ballot si le personnage qu’on suit peut jamais pratiquer. Il aura tout de même le temps de nous faire profiter à nouveau de sa santé mentale défaillante, affirmant « Demain c’est le derby parisien ! Trop bien ! ».

Si jamais quelqu’un de votre entourage dit « trop bien » à la perspective d’un match du Racing, c’est qu’il a totalement perdu le sens des réalités. L’internement de force reste alors la meilleure solution.

Le lendemain, Jérémy apprend que Boris va participer à un concours de pénalités à la mi-temps d’un Racing-Stade Français. Et qu’il a trouvé un truc pour foutre la honte à Jérémy. Tu le sens venir le gros twist ? C’est le moment de débloquer la situation, qui prendra la forme d’une sous-marque Leader Price de Daniel Herrero en la personne du grand-père de Jérémy. Celui-ci vivant en Nouvelle-Zélande, il ne voit pas souvent son petit-fils. Il nous précise même qu’il a un droit de visite un week-end par an, ce qui au regard de la loi française pue bien fort la maltraitance. Enfin, son droit de visite tombe ce week-end-là, et il veut en profiter pour emmener son petit-fils voir Racing-Stade Français.

La grand-mère s’y oppose à cause des hordes de hooligans qui ornent les tribunes (une horde, ça doit être à partir de 2 personnes en tout, vu le public du Racing). Le grand-père, caution rugby, moufte pas sur les hooligans, mais convainc la vieille de laisser Jérémy assister au match. Évidemment, Jérémy est appelé pour le concours de pénalités où Boris l’a inscrit pour lui « foutre la honte devant 80.000 personnes » (sic, donc).

Et Jérémy, qui n’a donc jamais joué enquille toutes les pénalités, y compris à 50 mètres. A se demander pourquoi les meilleurs buteurs du monde passent leur temps à s’entraîner pour atteindre péniblement un 80-90% de réussite. Il gagne le concours, et est sélectionné dans la fameuse équipe « top 14 puceaux ». Éruption de cyprine du côté de Solène. Nous sommes alors à la page 26, il y a eu seulement 3 pages de rugby. Beaucoup de blablas et peu de jeu, pas de doute, c’est bien notre cher Top14.

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Ceci serait Jean-Baptiste Poux. Comme personne ne sait quelle tête il a, nous accorderons toute notre confiance au dessinateur.

 

On passe alors à la phase d’entraînement de l’équipe. Ce qui nous permet de découvrir les différents joueurs un peu plus, tel Noah, noir à dreadlocks du FCG. Encore un coup dur pour toute forme d’imagination. Ou bien Diego, du RCT, puisque Mourad n’est pas bête, il a assez souvent dit que la formation coûte cher, alors il préfère acheter à bas prix des gamins du tiers-monde corvéables à merci. Tout ça pour dire que cette équipe à tous les quotas raciaux en vigueur, sauf des Arabes, puisque le même Mourad vous le dira, le rugby est raciste avec son histoire liée au pétainisme et son fonctionnement crypto-fasciste exécuté par des pipasses sodomites sous-payées et mal habillées par un directoire mafieux, incompétent et alcoolique qui préserve ses propres intérêts et donc pas le mien, votez pour moi au prochain congrès de la LNR, je suis le seul candidat anti-système.

Évidemment, on a 2 Basques dans l’équipe, et il faut se dépêcher de faire connaissance avec eux, vu que ces deux personnages vont bientôt disparaître de la BD, avec leurs équipes qui seront en prod2 l’an prochain. Et aucune série dérivée n’est encore prévue.

Mais ça aurait de la gueule, dans un genre survival post-apocalyptique, à mi-chemin entre Walking Dead pour les anciennes gloires lobotomisées et bouffeuses d’organes mous en pré-retraite (oui, Rémy Martin joue encore) et Sa Majesté des mouches pour les jeunots mal dégrossis aux costumes tribaux burlesques, et pour lesquels un slip est le top du top de la technologie (à condition d’avoir réussi à lire le mode d’emploi). En tout cas, nos Basques sont comme dans la vraie vie, ils arrêtent pas de se battre, ce qui permet aux auteurs de nous faire un point « c’est dans leurs gènes ».

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« Vous me faites rire avec Ovale Masqué. Si ce personnage portait un collant mauve, tout le monde dirait que c’est génial. » P . Lagisquet.

 

Ce n’est qu’ensuite que le moment fort de ce tome 1 arrive, voici enfin du rugby avec la séance d’entraînement, en perspective du premier match de l’équipe, contre une sélection Italo-Irlando-Ecosso-Galloise (oui, décidément, seules les ligues pro ont droit de cité dans ce monde parallèle). Comme dans la vraie vie, il y a un manager, qui choisit les membre de l’équipe, et après cet intense effort intellectuel, il peut aller boire son pastis et laisser le sale boulot à ses domestiques, pardon, ses entraîneurs-adjoints, qui ici ne sont autres que des joueurs du Top 14.

Encore un doublon diront certains, ils ont que ça à foutre diront d’autres. Jérémy, qui est incompétent mais de bonne volonté, sera évidemment ailier. Mais pour son rôle de buteur, c’est Jonny Wilkinson qui sera son coach personnel. Jérémy se serait engagé chez les jésuites que les perspectives de rigolade n’en seraient pas pires. En revanche, ça va permettre à Sir Jonny de rigoler un peu, la torture psychologique sur un adolescent, ça fait toujours bien passer le temps. Ainsi, Jonny nous gratifiera d’une parabole sur le thème de la pression, comme quoi des fois c’est bien, et des fois pas. Jérémy est bien avancé.

Et cet entraînement spécifique portera ses fruits dès le début du match, joué dans un stade plein sous les caméras. Pour un match de cadets. Non, franchement, y’avait vraiment moyen de faire de la science-fiction bien délirante. Engagement des Italo-rouquins, Jérémy récupère, tape à suivre, se fait contrer et essai casquette à son débit pour la première vraie action de sa vie sur un match de rugby. Ça vous rappelle quelque chose ? Un petit indice : quelques pages plus tôt, Boris-le-maichant et ses potes se font houspiller par Jérémy car « à 3 contre un c’est facile ». Ceci plus un copié-collé du début de match du France-Afrique du Sud de l’automne dernier, Ouioui, visiblement Morgan Parra n’a pas souhaité participer et les auteurs se vengent chafouinement. Ça c’est rugby.

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Ami lecteur, sauras-tu trouver quel match l’éditeur toulonnais a maladroitement essayé d’occulter ici ?

 

C’est la fin de ce tome 1, très axé donc sur les fameuses valeurs, plus que sur le rugby lui-même. Comme à la Boucherie nous sommes un peu cons, nous n’avons pas encore bien compris ce que sont ces valeurs au juste. Grâce à cette bd, nous en avons appris un peu plus. En l’état actuel des connaissances, et sur la base de ce tome 1, nous sommes en mesure d’affirmer ce qui suit :

Passe après contact : c’est très valeur du rugby.

Se faire virer de plusieurs clubs : pas valeur du rugby. Juju Caminati sera ravi de l’apprendre.

Médire d’autres activités (en l’occurrence équitation, échecs ou musique) : c’est valeur du rugby.

Foutre un enfant à la poubelle : c’est pas valeur du rugby.

Shooter dans un produit dérivé Top 14 ™ : c’est pas du tout valeur du rugby. Mais alors pas du tout.

Le Cervelas : c’est pas valeur du rugby.

Par contre, le sandwich au gras de la cahute du stade, ça c’est valeur du rugby.

Avoir un portrait de Yachvili au-dessus de son lit : c’est très valeur du rugby. Perso, j’aurais surtout dit flippant, mais soit. Perso, je vais plutôt garder mon poster Hello Kitty.

Se mettre à 3 contre un : c’est pas valeur du rugby.

Intimider l’adversaire : c’est pas valeur du rugby. J’aurais pas cru, mais les auteurs sont formels sur ce point.

Dussautoir et Castrogiovani qui vont menacer une grand-mère, c’est valeur du rugby. Ainsi que se balader tout le temps avec son maillot.

La torture psychologique sur un puceau : c’est donc le B.A.BA des valeurs.

Fin de la leçon.

Certes, les auteurs de ce livre ne sont vraisemblablement pas les meilleurs que l’on aurait pu souhaiter pour mettre en scène ce sport. Mais il semble que le cahier décharge était un peu lourd à porter même s’ils avaient étés des génies. Le commanditaire voulant absolument proposer une image positive à outrance du rugby, on se retrouve avec une espèce de rugbisounours, dégoulinant de Walt disniaiseries sirupeuses et bien pensantes, n’essayant jamais de rentrer dans le détail des règles , de la technique ou la tactique (éléments au contraire très présents dans les mangas de sport), bref, passant à côté de son sujet tel Porical avec un attaquant adverse, mais où l’éditeur a eu le droit d’utiliser le logo du Stade Toulousain.

Vu que la LNR voulait, semble-t-il, à tout prix occulter totalement l’existence de la fédération, le ton général ne vole guère plus haut qu’un vulgaire torche-cul du rugby pro, où seul le meilleur-championnat-du-monde a droit de cité. Le journal l’Équipe existant déjà, on peut se demander quel est l’intérêt d’un nouveau doublon.

Comme en plus les personnages ne sont ni originaux, ni attachants, il ne reste plus grand chose. Quelques scènes de jeu pas trop mal torchées, quoique très statiques, et surtout beaucoup trop rares, et des caricatures de joueurs célèbres qui oscillent entre le correct et le risible. Trop markété et pas assez prenant, ne gardant que les artifices les plus caricaturaux du manga de sport, genre ayant, lui, réussi à rendre même le jeu de go passionnant et dynamique, le défi de remplir les écoles de rugby avec ceci paraît au moins aussi aberrant que prendre Lagisquet coach de l’attaque pour l’équipe de France.

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