La mêlée collée
par La Boucherie

  • 13 August 2012
  • 32

 

Par Man'S,

 

Passons sur le banc de l'infamie cet acte de jeu inutile : la mêlée

Le dernier article de Man’s, marqué du sceau de l'excellence littéraire et de la pertinence lucide lui a valu un certain nombre de remarques de cuistres interlopes critiquant sa conception du jeu de rugby, puisque il s’était autorisé à douter du bien-fondé d'une phase de jeu inarbittable et chronophagère : la mêlée.

Pour répondre à ces thuriféraires (et thurinino) de la lutte des crasses, prêts à déclencher d'un bras vengeur une générale revancharde contre les pourfendeurs de la meusclagne, Man’s va entrer en planche dans le ruck de la controverse pour prouver que la mêlée n'a plus sa place dans un sport devenu spectacle à défaut d'être spectaculaire.

A son origine, du temps où le jeu de rugby n'était qu'un aimable divertissement entre étudiants boutonneux des grandes écoles victoriennes, les fondamentaux du jeu d'avant furent définis autour de deux phases dites statiques : la touche et la mêlée, et ce dans le but de trouver une utilité à deux catégories de joueurs : les grands imbéciles et les gros pouffres. Rappelons, et pas seulement des figues, que l'éducation anglaise de cette époque avait pour objectif de permettre à l'élite de la nation britannique de développer leur esprit de compétition et leurs qualités morales, pour mieux dominer, mépriser et exploiter le reste du monde. A ce titre (non, Pierre Mignoni, c'est une expression) il était hors de question de mettre sur la touche ne serait-ce qu'une infime partie de la caste dominante anglo-klaxonne, et il fallait absolument que les gras du bide incapables de faire 2 mètres sans haleter et les pique-feu aux genoux cagneux trop maladroits pour arriver à faire une passe ne se sentent pas rejetés, même rouquins avec des grandes oreilles.
La mêlée, puisque c'est d'elle qui est mise ici sur le grill de mon esprit primesautier, était donc au départ un moyen astucieux de remettre la balle en jeu après un en-avant tout en laissant aux plus ventripotents des pratiquants la possibilité de se rendre utile.

Cette tradition a perduré jusqu'à ce que le rugby prenne enfin son véritable sens, son vrai intérêt en franchissant le Channel, au contact subtil d'un esprit bien français, les Froggies voyant dans cet affrontement le moyen le plus efficace de se mettre une bonne trempe à 8 contre 8 (9 avec Norman Jordaan), une merveilleuse rampe de lancement pour des bagarres générales réussies, l'étincelle permettant de mettre au bon moment le feu aux poudre et les points sur les yeux, le réceptacle idéal des humiliations sadiques et des coups bas livrés.

On retrouve bien là ce qui fait le lit de l'antagonisme de notre beau pays enchanteur et de la perfide Albion : une phase de jeu secondaire inventée pour occuper des êtres frustres et à peine sportifs devint chez nous l'affrontement ultime et sanglant de deux fiertés guerrières, le révélateur des vertus de la “rrrace”, le dernier salon où l'on pose, devenant ainsi de secondaire le théâtre principal des affrontements.
« No scrum, no win », disent les rosbifs, mais cette expression vient du Français «interdit de reculer, ou on envoie des bournifles». Chez nous le positionnement du 5 de devant est devenu un art, une science, une philosophie. Et c’est ainsi que, de rampe de lancement pour faciliter la fluidité du jeu, la mêlée n'est devenue qu'un moyen de grappiller une pénalité bien placée, éventuellement un petit carton jaune pour fautes répétées, voire un essai de pénalisation.

Au départ donc aimable rendez-vous entre gentlemen, la mêlée est peu à peu devenue un terrain d'affrontement féroce, avec ses codes, ses lois non écrites, ses légendes et ses héros. D’habitude, à la mi-temps de ma dissertation ovalienne, pour montrer ma grande culture rugbystique, je rends un hommage vibrant aux grands anciens qui ont honoré ce sport, aux bouchers retirés des terrains, aux malabars sanglants et sans reproches. Pour

cialis low price

rendre ludique rivers cette logorrhée de noms célèbres et faire plaisir à Ovale Marqué qui demande toujours plus de jeux de mots dans les articles, jouons un peu : saurez-vous reconnaître les pilars d'antan cachés astucieusement dans ce texteb?
“Ah! C'était mieux avant quand les gars ruaient dans les brancards, en mêlée ça jouait pas aux darts, c'était parfois Diaz-rock et certains pilars marris finissaient au Dospital avec des marques au nez et à la barbe de leurs divas craints. Mais en 3ème mi-temps ils avaient pas le porto lent, même si mon cas lie au pape hareng borde (oui bon…) “

Et c'est avec l'avènement du professionnalisme que la mêlée a peu à peu perdu de son charme d'antan, son parfum de soufre et de camphre. A partir de 1998 on a demandé aux gros de devant de faire autre chose que de fournir un effort surhumain en mêlée. Tout est allé plus vite, et tout s'est aseptisé : ont disparu aussi les 2ème ligne assassins d'antan, Tachdjian, Dejean, Gourragne, ceux qui savaient d'un délicat revers de manche assaisonner le talonneur adverse lorsqu'ils sentaient que leur coéquipier de 1ère ligne perdait l'ascendant, ceux qui en passant négligemment un bras vengeur allait d'un uppercut assassin déclencher la générale qui permettrait d'éviter une honteuse reculade. Toutes ces braves bourriques sacrifiées sur l'autel méprisant de la condition physique et de la bien-pensance qui ne peut plus supporter que ses adeptes se chicorent devant l'objectif inquisiteur des caméras obscènes. Et en supprimant ces justiciers de l'ombre, ces shérifs de la nuit, ces allumeurs de 36 chandelles, on a supprimé tout code d'honneur, toute législation tacite, laissant ainsi le champ libre aux tricheurs, aux pousseurs en travers, aux renifleurs de gazon, aux fossoyeurs d'affrontements. L'autorégulation chère au Rapetou Serge Simon n'est plus, et la mêlée est devenue… mêlasse.

Et depuis quelques années, on a beau au début de chaque saison proférer des monceaux de bonnes intentions, se dire que maintenant c'est fini, qu'on va sévir, aller de stage d'arbitrage en compagnie d'éminents spécialistes en recommandation fédérale pour arrêter le carnage, tous les ans c'est pareil. Et l'instauration des 4 temps poussifs, réduits à 3 récession oblige, n'y change rien : la mêlée est devenu un moment pénible de chaque partie, une perte de temps systématique, une phase de jeu où on est à peu près sûr qu'il ne se passera rien d'intéressant : plus d'avancées monstrueuses, d'entrées au casque rageuses, de piétinements sauvages, de piliers qui montent en cathédrale, de frappes chirurgicales et de kick-boxing à 16, on s'emmerde, n'ayons pas peur des mots, oui, on s'emmerde.

Et si au moins cette phase de jeu laissait le temps aux aficionados assoiffés d'aller chercher une bière à la buvette, mais même pas, les arbitres exaspérés ne laissent plus refaire moultes fois les mêlés foireuses, au bout de 2 ou 3 ils sévissent, n'importe comment et dans le plus grand désarroi, distribuant les pénalités au petit bonheur la chance, sauf si c'est le Bého.
Et encore on a de la chance, les en-avant ont été divisés par 2 depuis qu'on a décidé d'arrêter de jouer avec des savonnettes et que Chabal a quitté le top 14.

Voilà où on en est, et voilà pourquoi je réclame une décision ultime et salvatrice : supprimons la mêlée. Ce spectacle affligeant et rétrograde, comme la corrida ou le lancer de nain, n'a plus sa place dans notre société moderne et civilisée.
Bon, d'accord, diront certains esprits chafouins, mais qu'est-ce qu'on fait à la place? Du tir à la corde? Un ni-oui ni-non ? Des combats de gladiateurs? Comment remettre la balle en jeu, on va quand-même pas simuler avec six mulets comme ces dégénérés de treizistes? Des remises en jeu style football américain, avec 5 ou 6 crétins stéroïdés se regardant dans le blanc du casque avant de s'affronter façon sumos croisés?

Comme j'ai déjà suffisamment travaillé pour un mois d'août, et vu que je n'ai même pas eu un Tee-Shirt gratuit en guise d'émolument (aux morts) pour mes précédents articles, je vous laisse faire fonctionner votre imagination féconde pour nous faire des propositions que la Boucherie Ovalie ne manquera pas de transmettre à l'International Rugby Boardel.

Dans l'attente, et même dans le camping-car, je conclurai quand même que oui, la mêlée est coupable, et son avocat Fabien Galthié vous en persuadera mieux que moi.

zp8497586rq