Episode #4 : Meet Bunny Will Gilliam
par Ovale Masque

  • 02 July 2012
  • 6

 

Par Erwann Tortellini,

Les épisodes précédents, 1, 2, 3

 

Après des mois et des mois de discussions, j'ai enfin obtenu un rendez-vous avec LA future star de notre équipe. On a déjà recruté du mercenaire de luxe, cette saison : le sudaf Van der Kruger, les deux piliers géorgiens, ce putain d'Argentin autiste… Mais là, j'espère bien taper dans la catégorie au-dessus. Bunny Will Gilliam. Trois quart centre ou ailier, 1m90, 110 kilos, d'origine samoane. Ex-international des -18, -19 et -20 avec les All Blacks. Bunny a joué une poignée de matchs en NPC néo-zélandais avec la province d'Otago. Prometteur, il aurait même dû signer pour une franchise du Super Rugby… Mais il a eu, disons, quelques petits problèmes qui ont contrarié son ascension. Pour faire simple, disons que si le viol est quasiment une pratique culturelle en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande, ce n'est pour le moment toléré qu'avec des moutons. L'affaire a été étouffée en justice, après retrait de la plainte du jeune homme (oui, il avait beaucoup bu) mais la fédération ne lui a pas pardonné et l'a banni à vie. 

Après avoir tenté sa chance dans le rugby à 7, puis à XIII, il a plaqué le ballon ovale pour se lancer dans les combats d'arts martiaux mixtes, avec comme but, à terme, d'intégrer l'Ultimate Fighting Championship. A ce jour, il est invaincu avec 4 combats pour 4 victoires par KO. Même qu'il est récemment devenu champion de Nouvelle-Zélande. Mais si Richie McCaw a prouvé qu'il n'avait pas son pareil pour distribuer des coups de genoux dans la tempe de ses adversaires, c'est une discipline qui reste très peu pratiquée là-bas, du coup, la concurrence n'est pas folle. Faut dire aussi qu'il parait que son agent est un pro de la négociation, qui n'accepte de lui booker des combats que contre des unijambistes, des attardés mentaux ou des obèses morbides. Il y a des vidéos qui tournent sur Youtube où on voit Bunny envoyer à l'hôpital un mec à peine plus pubère que le stagiaire de la Boucherie Ovalie. Le pauvre petit est sorti en sang, complètement démoli : son visage ressemblait au vomi de Julien Caminati après une soirée chili con carne. Bref, je  me doutais donc qu'avec lui, les négociations ne seraient pas faciles. Après de longues discussions, le mec a accepté de débarquer ici pour parler business. Dès le début, ses exigences étaient hautes : il voulait qu'on vienne le chercher, lui et son protégé, à l'aéroport de Morlaix-Ploujean, si possible dans une limousine. Et là, vous apprenez qu'il y a un aéroport à Morlaix, voire vous apprenez l'existence de Morlaix tout court,  et vous vous dîtes que vous avez pas perdu votre journée à me lire.

A l'aéroport, je n'ai pas eu de mal à repérer les deux gugusses. Le Bunny en question, il débarquait en mode branlos, mâchant nonchalamment son chewing-gum, sapé avec short baggy, un sweat à capuche ouvert sur un maillot de basket des Chigaco Bulls, des lunettes de soleil et une casquette vissée de travers sur la tête. Il faut savoir que la mode gangsta rap des années 90 vient à peine de débarquer au fin fond de la Nouvelle-Zélande. Son agent, un certain Joe Facemoa'aniké, est un Samoan adipeux qui porte la queue de cheval. Son combo costume blanc – chemise hawaïenne que Don Johnson lui-même aurait refusé de porter à l'époque de Miami Vice, est du plus bel effet. En conduisant les deux mecs à l'hôtel Ibis le plus classe de la ville, je savoure déjà ma première victoire. Faut dire que j'ai vraiment eu du mal à les convaincre de venir ici. « What the fuck is Penairpuyac ?! » qu'il m'a dit au téléphone, le gros. J'ai fait ce que tout homme censé aurait fait, j'ai sorti plus bel anglais Wall Street English © et j'ai quelque peu embelli la vérité. « Pen-Ar-Pouillac is really nice. Sunny, nice beaches, good looking girls, amazing food ». Ok, on lui a quelque peu menti sur la marchandise, mais finalement, la Bretagne ça risque pas trop de le dépayser de sa Nouvelle-Zélande : c'est vert, c'est joli, il s'y passe rien et il pleut quasiment toute l'année. Pour un peu qu'il aime les crêpes, il se sentira vraiment dans son élément le gars.

Une fois installés au bar de l'hôtel, je décide de commander une bouteille de cidre pour amadouer mes deux invités. Au bout de 4 bolées, le gros Samoan était déjà devenu mon meilleur ami. Il m'a raconté son parcours d'ancien pilier international, ayant obtenu une petite dizaine de sélections tout de même. A l'âge avancé de 26 ans, il avait commencé à sévèrement s'empâter et pesait 162 kilos sur

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la balance. Il avait dû arrêter le rugby sur les conseils de son médecin, et était alors parti pour la Nouvelle-Zélande pour gagner sa vie en faisant divers petits boulots. Il a alors connu un vrai petit succès en jouant le rôle de sosie d'Elvis Presley dans un casino de la banlieue d'Auckland. « Samoan Elvis » qu'il se faisait appeler. Même si son regard était caché par ses rayban, je sentais que Bunny se faisait chier comme un Parra mort, comme s'il avait entendu cette histoire 46 fois, ce qui était sûrement le cas. Enfin bref, vient le moment où Joe me raconte comment un jour, il a croisé Jerry Collins, complètement bourré au casino. Le gars avait dilapidé tout son argent et avait terminé la soirée en pleurs dans les bras du Samoan Elvis, qu'il avait pris pour une apparition du Christ dans son délire éthylique avancé. Joe l'a raccompagné chez lui, et lui a proposé de l'aider à changer de vie, de répartir à zéro et d'oublier tout ses soucis : ses problèmes d'alcool, de jeu, la pression permanente qu'il y avait au pays pour un All Black… c'est comme ça qu'il a obtenu son premier client. Il l'a convaincu de partir en Europe, signer un contrat lucratif dans une petite ville calme, où il passerait inaperçu et où il serait éloigné de toutes tentations. Et Joe a donc conclu son premier deal avec Mourad Boudjellal, en faisant signer Collins à Toulon. Tu parles d'une idée de génie, c'est comme si Pete Doherty partait en cure de désintox à Bogota.

Bunny était un peu dans la même situation que l'ancien troisième ligne des Hurricanes. Au pays, il était catégorisé comme une petite starlette surcotée, ingérable, grillé à peu près partout où il est passé. A 24 ans, beaucoup de joueurs de son âge ont déjà une trentaine de sélections, pour lui comme pour beaucoup d'autres ex-grands espoirs du pays, le train était passé. Plus qu'une solution donc, partir pour l'Europe, où un parfait tocard au bled peut changer de peau et devenir un Dieu vivant en l'espace d'une saison. Demandez à Brock James. En Australie, ils associent plus son nom à un acteur porno gay qu'à un joueur de rugby. 

Dans ma tête, le plan était parfaitement établi : le gars débarque dans notre charmant village de Pen-Ar-Pouillac et joue dans un championnat, où finalement, le sport pratiqué ressemble à tout sauf du rugby. Très vite, il survole les débats, retrouve sa confiance, prend du plaisir, devient la star locale. Il se trouve une petite amie du coin, avec la tête bien faite et bien pleine. Il arrête les excès, se range et nous mène vers les sommets. Fingers in the nose. Le seul problème, c'était le côté financier : le gros Joe avait beau avoir désormais plus de litres de cidre que de sang dans tout le corps, il n'en perdait pas moins le sens des affaires. A l'entendre, il me vendait le nouveau Tana Umaga, alors qu'objectivement, il valait sûrement  même pas la moitié d'un Rougerie en chaise roulante. Puis même si dans ma tête, le plan semblait bien huilé, ça restait un joueur à risques. Pen-Ar-Pouillac, c'est peut être pas la Rade de Toulon, mais niveau alcoolisme je crois que la Bretagne n'a de leçons à recevoir de personne.

Du coup, on s'est mis d'accord pour un deal particulier avec une prime spéciale pour chaque essai inscrit par Bunny. Je l'ai convaincu avec des arguments simples «Tu vois le temps qu'a mis le serveur pour nous apporter notre bouteille de cidre ? Ben il faut le même temps à notre  meilleur ailier pour traverser les 22 mètres en sprintant. Si Bunny fait l'effort pour se maintenir en bonne condition physique, avec ses qualités naturelles, il pourra facilement marquer 5 essais par matchs. Et alors là, c'est le jackpot ». Bunny Will écoutait tout ça d'une oreille distraite, la seconde étant obstruée par l'écouteur de son Discman – je vous avais pas menti quand je disais qu'ils étaient en plein dans les 90's – qui crachait du mauvais rap. Pour le fun, je lui lance « Do you know Manau ? It's a rap band from Brittany. Good flow, very explicit lyrics. A bit like Wu Tang Clan but with biniou ». Il m'a regardé comme si je venais de lui dire que je m'étais tapé sa mère à un concert de Phill Collins dans les années 80, puis il a fini par hausser les épaules.  Ce gars là m'avait quand même l'air d'être un sacré branleur.

Je commençais un peu à regretter ce deal mais je me rendis compte que j'avais déjà apposé ma signature sur le contrat posé sur le bar. A croire que je ne tiens pas si bien l'alcool que je le pensais . Joe, lui, se leva sans tituber, et me balança une grande tape sur l'épaule, du genre de celle qui te fait te tasser d'1 ou 2cm d'un coup. Il me dit que l'affaire était entendue mais  que malheureusement, Bunny Gill ne pourrait pas débuter avec nous tout de suite : il a un titre à défendre dans deux semaines en Nouvelle-Zélande. D'après Joe, il affrontera alors son adversaire le plus coriace à ce jour, un jeune berger de la région Taranaki, ancien soldat revenu à moitié aveugle de la guerre. Je lui ai demandé « Mais la Nouvelle-Zélande, vous avez fait quelle guerre à part celle du Seigneur des Anneaux ? ». Il m'a juste répondu « Ah ah, good one » avant de finir de démolir mon épaule. Bunny, lui, s'est levé et s'est contenté de me faire un petit signe de la main, avant de tourner les talons, les mains dans les poches de son sweat. A ce moment là, je me suis demandé si c'était pas la dernière fois que je le voyais.

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