Géopolitique du Top 14, première partie
par La Boucherie

  • 17 November 2011
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Par Leblogdevern alias Vern Dublogue,

Aujourd’hui, Vern Dublogue, auteur de l’excellent blog parodique de Vern Cotter (dont nous avions fait partager un extrait ici) nous fait un cadeau beau et inattendu comme une passe de David Marty : un texte inédit, consacré à la géopolitque du Top 14. Oui, rien que ça…

S’il est vrai, selon Raymond Aron, le célèbre arrière fantasque du Rugby Pro-France (RPF), formé à ULM (Union Libre Metro), que le “système international est un ensemble dont la cohérence est celle d’une compétition” (Paix et Guerre entre les nations, Paris, Calmann-Levy, 1962, p 103), quelle meilleure grille de lecture, pour bien comprendre cette compétition féroce et à mort qu’est le Top 14 et ses enjeux, que la géopolitique ? Je vous propose donc une transposition au rugby du concert des nations, même si cette interprétation ne sera naturellement pas exempte de fausses notes…

A tout seigneur, tout honneur, commençons par les maîtres du monde, la république impériale, les Etats Unis d’Amérique. Comment ne pas les rapprocher de l’hegemon, le grand Stade Toulousain, qui, finalement et à l’instar des States, n’est pas grand depuis si longtemps. Si l’on rapporte l’histoire du rugby à celle du monde, la suprématie toulousaine ne date que du milieu des années 80, ce qui pourrait correspondre au début du XXème siècle de notre ère dans une perspective plus large… Toulouse est incontestablement la grande nation actuelle du rugby français, qu’elle domine pratiquement sans partage, nous y reviendrons. Mais c’est aussi une terre d’immigration, qui accrédite le mythe du melting pot, tout en permettant à de nombreux self made players partis du bas de l’échelle du centre de formation de se faire une place au soleil. Club d’une ville nichée au cœur du sud-ouest, le Stade n’en revendique pas moins une âme occitane et provinciale, toujours rebelle à l’unité centralisatrice de la FFR et de la LNR, qui n’est pas sans faire penser à la position paradoxale des Etats Unis, omniprésents mais réfractaires à de nombreux engagements collectifs au sein de la communauté internationale.

Mais Toulouse, c’est à la fois les rednecks de l’Oklahoma profond et l’aristocratie protestante de la nouvelle Angleterre, c’est à dire le mariage improbable mais fonctionnel d’une conquête puissante et basique avec une conception élevée du jeu : in Novès we trust. Leur culture a fini par s’imposer à la France entière, en particulier via les media qui chantent à tue-tête une vision simplifiée de l’ethos de l’école toulousaine, qui devient une forme de pensée unique du rugby.

De fait, comme les Américains, les Toulousains nourrissent un petit mais légitime complexe de supériorité, tendant à considérer qu’hors de la ville rose, on ne sait pas jouer au rugby. Et même quand ils font de la merde (si, si, ça arrive), on les retrouve toujours dans le dernier carré. Ils en sont devenus insupportables, tentant d’imposer au monde leurs conceptions, trustant naturellement des fonctions éminentes à tous les niveaux : au sein du comité de sélection ou à l’IRB pour Pierre Villepreux par exemple. Mais bon, on peut les maudire, souhaiter leur perte ou se foutre de la gueule de leur chef, comme aurait pu le dire le poète de droite Michel Sardou, “Si les Toulousains n’étaient pas là, nous n’serions plus en Ovalie”…

 

Un club a, cependant, remis en cause la suprématie toulousaine, parvenant même à faire trembler l’ogre sur ses bases. Mais le modèle économico-socio-politique du Stade Français a fait long feu, consacrant la victoire de l’autre Stade, le seul, le vrai. C’est pourquoi on ne peut que rapprocher le SF de la Russie et la rivalité qui l’a opposée au Stade Toulousain de la Guerre froide, combat idéologique et de perceptions autant que compétition militaire. Finalement, la révolution guazzinienne d’octobre rose a échoué à renverser les valeurs traditionnelles du rugby du sud-ouest. Et de nos jours, le Stade Français, entré dans une lente déchéance, est devenu un ours blessé dont les coups de patte sont toujours redoutés mais ne parviennent plus à tuer. Le changement récent de régime fait naître beaucoup d’espoir, et même si le club peine à relever durablement la tête, il dispose encore de ressources considérables et demeure hanté par les rêves de grandeur passée et la nostalgie du temps où l’on rivalisait avec le seul ennemi à la mesure de sa démesure…. Plus anecdotiquement, le SF est comparable à la Russie pour ses femmes qui apprécient les tenues légères (et ce, quelles que soient les conditions climatiques) et pour son mauvais goût légendaire, mais aussi, pour son âme slave, imprévisible et romantique, qui s’exprime autant dans ses excès que dans son inconstance.

Mais, s’il était vrai que la domination du rugby français était en dispute entre un nombre très restreints de clubs jusqu’à un passé proche, la multipolarisation du monde s’étend désormais à l’Ovalie. Les prétendants au titre sont plus nombreux chaque année et les écarts de niveaux se sont resserrés significativement. On ne fait plus le malin lorsqu’on se déplace chez le dernier, surtout quand c’est le BO, de la même manière que les États-Unis sont bien contents de voir les Français faire le travail à leur place en Libye. Dans ce nouvel ordre rugbystique issu de la chute du mur de l’amateurisme, certains clubs, dits émergents, commencent à tirer leur épingle du jeu et à mettre en péril les vieilles certitudes.

 

Au premier plan des BRIC du rugby, le Racing occupe la place de la Chine. Un vieux club de grande renommée, autrefois très puissant mais n’ayant jamais souhaité étendre son empire sur le monde, un club huppé aussi, tombé brutalement dans les oubliettes de l’histoire et qui refait surface avec un certain esprit de revanche sur ceux qui ont profité de sa faiblesse et l’ont méprisé un temps, ce qui n’exclut pas une certaine paranoïa… A l’image de l’Empire du milieu, le Racing, à l’effectif aussi pléthorique qu’un village chinois de 50 000 habitants, incarne par excellence le choc de la vieille tradition confucianiste avec le monde des affaires et des nouveaux riches. Si le Racing joue des coudes, ce n’est pas totalement sans raison cependant : il sait qu’il représente une menace pour le Stade Français tout comme la Russie craint son imposant voisin et les Toulousains l’ont à l’oeil. Bref, tout le monde le sait, quand le Racing s’éveillera, ça va faire mal…

 

Mais un autre grand concurrent de la Chine, c’est l’Inde et l’Inde, c’est Toulon. Ses couleurs, son exotisme, ses 23 langues officielles et ses particularismes locaux. L’histoire du RCT est aussi ancienne que celle du sous-continent. Les Indiens ont la réputation d’avoir inventé les mathématiques et l’astronomie, les Toulonnais peuvent avoir la paternité du respect total et immodéré des fondamentaux. Daniel Herrero est un peu le Gandhi toulonnais, la figure tutélaire. Cependant, la comparaison s’arrête là entre l’homme au bandeau et l’apôtre de la non violence… Après quelques ratés de développement, ce géant aux pieds d’argile se met petit à petit en route. Si la vie politique indienne, marquée par la violence et l’instabilité, est comparable aux avanies du club au début des années 2000, il semble que l’équipe dirigeante actuellement en place soit là pour durer, même s’il est vrai que les sorties médiatiques de Mourad Boudjellal s’apparentent plus aux discours souvent excessifs du leader nationaliste Vajpayee, dépossédé du pouvoir en 2007…

 

Il nous faut terminer ce tour des BRIC avec le MHRC, qui est est probablement l’avatar du Brésil. Comme dirait le général de Gaulle, le Brésil a toujours été un pays d’avenir. Sauf que, comme le géant sud-américain, Montpellier, avec des ressources nouvellement découvertes et un entraîneur qui jouit de la popularité de Lula, commence à obtenir des résultats et à se stabiliser au plus haut niveau. En plus de l’avantage d’une population métissée, jeune et dynamique, le Brésil achète des porte-avions et des sous-marins réchappés, alors que le MHRC se paye quelques vieilles gloires sur le retour, les deux parvenant à équilibrer leurs flux migratoires.

Cependant, que sont devenues les vieilles puissances traditionnelles ?

Réponse demain dans la partie 2 avec l’étude des cas du Biarritz Olympique, de  Clermont, de l’USAP, de Castres et même de quelques autres…