France-Angleterre: le debriefing de Vern Crotteur
par Vern Crotteur

  • 11 October 2011
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La  Boucherie retrouve son expert maison pour une analyse “à froid” du quart de finale. Si la victoire des Bleus réjouit le plus français des Kiwis, Vern nous rappelle quand même que tout n’a pas été parfait.

  • Alors Vern, surpris de la victoire des Bleus ?

–          Tout le monde savait que les Français étaient capables de battre cette équipe d’Angleterre, mais vu le contexte, je n’aurais pas parié dessus. Il y a eu une grosse mobilisation des Bleus autour de ce match. Le staff a pris du recul et a responsabilisé les joueurs, ce qui a été une bonne chose… ça a sans doute libéré les joueurs, et surtout, ça les a mis devant leurs responsabilités.

  •  Donc la victoire des bleus vous réjouit ?

–          D’un point de vue purement rugbystique, la victoire française est très positive, car le jeu anglais façon Martin Johnson, c’est quand même un retour en arrière. Si ce rugby-là avait été gagnant, cela aurait envoyé un très mauvais signal à travers le monde de l’ovale. Donc, ne serait-ce que pour ça, je suis ravi que les Français l’aient emporté, d’autant qu’ils ont pratiqué un jeu de mouvement très intéressant.

  •   En première mi-temps…

–          C’est vrai. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils ont marqué sur leurs temps forts, chose qu’ils n’avaient pas faite contre les Blacks. Et c’est toute la différence.

  •  Pourtant l’entame a été difficile pour les Bleus.

–          Les premières minutes n’ont pas été à leur avantage. Ce n’était pas forcément une surprise. Par contre, ce qui m’a étonné, ce sont les choix de jeu des Anglais. Sur leurs premières actions offensives, j’ai tout de suite pensé dit qu’ils ne prenaient pas le match par le bon bout. Je dirais même qu’ils n’ont pas suffisamment respecté leur adversaire et que, contrairement à ce qu’ils ont laissé entendre, ils étaient convaincus d’être nettement supérieurs aux Bleus.

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  • Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

–          Ça a échappé à pas mal de monde, mais si les Anglais ont perdu, c’est aussi lié au fait qu’ils ont joué à l’envers pendant toute la première mi-temps. Sur leurs trois ou quatre premiers ballons d’attaque, dans les cinq premières minutes, ils ont écarté systématiquement le ballon jusque dans le couloir des 15 m, en essayant de prendre les Français sur du jeu au large, en première main…

  • C’était une erreur ?

–          Ce n’était pas une erreur en soi, car la situation de jeu permettait effectivement de jouer ainsi, mais c’est certainement une erreur quand on est anglais et que l’on joue face à la France. Si les Anglais avaient au contraire essayé de prendre le centre du terrain, d’enchainer les temps de jeu en avançant comme ils l’ont fait en deuxième mi-temps, ils auraient peut-être fini par faire craquer la défense française. Au lieu de cela, ils se sont précipités.

  • Vous croyez que cela a pesé dans la rencontre ?

–          En tout cas, les options de jeu anglaises ont permis aux Français d’échapper à des séances de pilonnage au près dès l’entame. Si les Anglais avaient fait preuve de plus de patience, en contrôlant le rythme de la rencontre et en imposant un gros combat devant, qui sait… Mais ils ne l’ont pas fait.

  • La défense française a été excellente aussi.

–          Il y a eu des placages déterminants, mais sans doute un peu plus tard. Bonnaire en particulier a été exemplaire tout au long de la rencontre. Mais ce qui a vraiment permis d’inverser la pression, c’est la touche. Les Anglais savaient que les mêlées seraient très disputées, mais ils comptaient beaucoup sur leur touche pour mettre les Bleus à la faute. Pendant les matches de poule, les Français n’avaient pas été très bons en contre. La rentrée d’Imanol a changé la donne. S’ajoute à cela le fait que Wilkinson n’a pas été très heureux dans son jeu d’occupation au pied.

  • La touche française est donc l’une des satisfactions de la soirée ?

–          En termes de statistiques, la touche française n’a été ni meilleure ni pire que lors des matches de poule, mais en revanche, elle a eu la capacité de gagner des ballons à des moments clés, que ce soit en attaque ou en défense. Avec deux spécialistes du saut (ndlr: Bonnaire et Harinordoquy) et un deuxième ligne capable de sauter en début d’alignement, les Français sont compétitifs dans ce secteur.

  • Dans l’animation offensive aussi, les Français ont été en progrès. Parra notamment a été très en vue.

–                 Il faut rester prudent. Parra a très bien joué le coup sur l’ essai de Vincent Clerc. Mais si vous regardez bien, c’est surtout sur des relances, après un ruck ou un maul, qu’il intervient en tant que premier attaquant, et dans ce cas, uniquement en tant que passeur ou relayeur, jamais pour attaquer la ligne ou pour fixer la troisième ligne adverse. En outre, sur les lancements de jeu, il ne joue pas ouvreur, mais se place dans la ligne, entre les centres, et c’est Mermoz ou l’ailier côté fermé qui intervient à sa place.

  • Pourquoi s’en priver, si c’est efficace ?

–                  C’est efficace, oui, dans la mesure où cela permet aux Bleus de créer plus d’alternance par rapport à des lancements classiques, joués autour du 10. Mais ce jeu dépend alors fortement de la capacité du 12 de suppléer l’ouvreur. Heureusement, Mermoz est en train de monter en puissance et il sert de pivot à l’attaque française sur pas mal d’actions. Il ne faut pas oublier non plus que les Anglais avaient aligné un pack très lourd et pas très mobile, de sorte que la ligne d’attaque bleue a assez bien fonctionné malgré l’absence d’un véritable 10. En revanche, face à une troisième ligne plus coureuse, le registre offensif limité de Parra risque de constituer un handicap.

  • En défense en revanche, Parra a fait une grosse partie.

–          C’est vrai qu’il a très bien défendu, pas forcément dans son couloir encore une fois, mais ses interventions ont toujours été tranchantes et il a beaucoup plaqué. Non, en défense, sa prestation a été bonne, mais par contre son jeu au pied a failli couter cher aux Bleus. En début de partie, son coup de pied sur la touche volée aux Anglais, à 5 mètres de l’en-but, permet de libérer le camp français. Mais le reste du temps, ce sont les coups de pied de Yachvili qui permettent aux Français de se libérer de la pression anglaise. Et en deuxième mi-temps, lorsque Parra a été repositionné à la mêlée, ses deux coups de pied par-dessus ont rendu la balle aux Anglais et sont directement à l’origine de l’un des deux essais. La différence avec Trinh-Duc est flagrante. Lorsque le Montpelliérain est rentré, son jeu d’occupation et son drop, même s’ils n’ont pas l’air de grand chose, ont peut-être permis aux Français de remporter le match finalement.

  • La deuxième mi-temps a été plus difficile pour les Bleus, à tous les niveaux.

–          Les Français remportent la première mi-temps sur le score de 16-0 et perdent la seconde 12-3, ce qui fait une grosse différence c’est vrai. Il y a deux explications à cela je pense. D’une part, les Anglais ont joué à l’envers en début de partie. En deuxième mi-temps, ils sont revenus à ce qui fait leur force. Avancer au centre du terrain, imposer un gros combat au près et ne déplacer le ballon sur les extérieurs que lorsque des surnombres ou des brèches ont été créées dans la défense. De plus, mentalement, les Français étaient passés en mode “défense”, c’est-à-dire défendre l’avantage acquis et essayer de jouer en contre. Le problème, c’est que les Bleus n’ont pu véritablement occuper le camp anglais au pied qu’à partir du moment où Trinh-Duc est entré en jeu.

  •  On n’a pas encore parlé de la mêlée.

–          Il y a eu du bon et du moins bon. En fait, la mêlée n’a pas eu de grosse influence sur l’issue du match, car on était en présence de deux packs très proches dans ce secteur. Les Anglais, avec un peu plus de masse et de puissance, les Français, plus techniques et meilleurs dans les duels entre premières lignes. Ça ne veut pas dire que la mêlée n’aura pas son importance lors des matches restants, mais que ce n’est pas sur cette phase que la victoire s’est construite samedi dernier.

  •  Qu’est-ce qui a fait la différence alors, en définitive ?

–                 Il y a toujours un facteur chance. Les Français résistent bien aux premiers assauts anglais et ils marquent le premier essai, ce qui a indiscutablement boosté leur confiance et semé le doute dans l’esprit des Anglais. Les Anglais ont tombé énormément de ballons aussi, et leur jeu au pied a souvent été approximatif. Je crois, quitte à me répéter, que les Anglais ont sous-estimé la réaction d’orgueil des Français. Après, à 16-0, c’est difficile de remonter un tel handicap, mais si on analyse le match à froid, il apparaît que tout aurait pu basculer jusque très tard en deuxième mi-temps. La défense française a bien résisté malgré tout, preuve que les Français étaient prêts mentalement. Surtout je crois aussi que l’expérience que certains joueurs apportent a joué un rôle non négligeable, face à des Anglais plus jeunes, malgré la présence de Wilkinson ou de Shaw par exemple.

  • Vous pensez à qui en particulier ?

–                  Harinordoquy, Dusautoir et Bonnaire, ainsi que Nallet, Rougerie ou Clerc par exemple.  Ils avaient certainement conscience qu’à moins de réagir, ils risquaient de revivre la déconvenue d’il y a 4 ans, amplifiée encore par le fiasco contre le Tonga.

  •  Retournement de situation incroyable donc, en une semaine.

–          L’équipe de France est toujours parvenue à relever son niveau de jeu lors des matchs-couperets, ce n’est pas nouveau. Tout le monde sait que les Français ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils sont au pied du mur, ça s’est encore vérifié samedi. Au-delà, je crois qu’il y a enfin eu ce déclic après le match du Tonga. Les joueurs semblent avoir pris leur destin en main. Le staff technique est encore là , mais ce sont les joueurs qui sont aux commandes.

Vern