Lettre ouverte aux journalistes en All-Blackie
par Le Stagiaire

  • 26 September 2011
  • 34

“Putain… si même les japonais s’y mettent…”

Salut les journaleux !

A la Boucherie, on a décidé de (re)faire un petit billet bien dans l’actualité, sous forme de lettre ouverte. Ca a bien marché la dernière fois après tout. Et puis en plus, on est un peu agacé et on a des choses à dire. Ben oué, ça nous arrive.

Voyez-vous, moi je suis à Paris. Il fait gris, froid, l’air est pollué, les rues sont sales et les stades de rugby les plus proches sont Charlety et le Stade de France. Dans le premier, on compte autant de spectateurs que de filles tout droit sorties du Moulin Rouge qui se trémoussent dans des costumes à paillettes et le deuxième a plus souvent vibré pendant des concerts de Johnny que lors de match de l’équipe de France.

Non, vous savez où j’aimerais être en ce moment ? A l’autre bout du monde. Là où se joue la plus grande et belle compétition de rugby du monde. Non, pas la Curry Cup… La coupe du monde bien sûr. J’aimerais me promener dans les étendues de collines entre deux matchs, voir les troupeaux de moutons qui s’y baladent et rencontrer des maoris, ce peuple qui m’intrigue autant qu’il me fascine. Après bien sûr, j’aimerais aussi aller faire la tournée des bars dans les rues de Wellington, y croiser Mike Tindall et ses copines, ou encore visiter le décor qui a servi pour faire le village de hobbits dans le Seigneur des anneaux. Mais bon, ça cassait un peu la poésie de mon début de paragraphe.

Vous vous rendez compte de la chance que vous avez ? Vivre au côté de l’équipe de France jour après jour ? Pensez-vous aux milliers de gosses qui rêveraient d’être à votre place ? Pensez –vous aux milliers de supporters qui se lèvent à cinq heures tous les matins pour voir les matchs et qui partent trois heures plus tard pointer à l’usine (ou à l’ANPE) ? Pensez-vous à vos collègues, reporters pour des quotidiens régionaux qui écrivent des papiers sur le dernier viol d’une brebis par un paysan aviné dans un village du Nord ? Pensez-vous ne serait-ce qu’à ceux de la même rédaction que vous, restés à quai en France et qui sont dépêchés depuis cinq semaines dans les stades du Top 14 ? Ces mêmes personnes qui doivent probablement planter chaque jour des aiguilles dans la poupée vaudou qu’ils ont façonnée à votre image pour vous maudire d’avoir été choisi à leur place pour couvrir l’évènement.

Alors s’il vous plait, essayez de faire votre taff correctement. Hélas pour vous, vous n’écrivez pas pour la Boucherie. Sinon, comme nous, vous auriez pu balancer des insanités sur les joueurs, des comptes-rendus aussi objectifs qu’un article de Marianne et des blagues lourdingues. Vous auriez même pu faire des fautes d’orthographe. Je ne tomberai pas dans le piège de dire que vous faites un boulot facile attention, mais merde, ces derniers jours on frise le ridicule. La croisade anti-Lièvremont entamée depuis plusieurs mois avait, vous pouvez l’admettre, des raisons de l’agacer. Les critiques et les conférences de presse « font partie de son métier » comme vous dites. Mais l’objectivité, le discernement et la réflexion font partie du vôtre non ?

Comme je le comprends moi, Lapinou quand il vous envoie chier, avec vos questions à la con. Sérieusement, prenons l’exemple qui a démarré la polémique. Comment peut-on, quand on est journaliste professionnel et que l’on sort d’un match où une équipe vient de se prendre 40 pions, demander à l’entraîneur : « Pensez-vous toujours que vous serez champions du monde ? ». Franchement, c’est de la pure provocation. Bête, méchante. Un mauvais geste dans un regroupement que l’on conclu d’un clin d’œil entendu à sa victime quand elle se rend compte que c’est quand même son équipe qui est pénalisée. Vous vous attendiez à ce qu’il réponde quoi ? Oui ? Non ? Merde ?

Il a choisit la troisième solution et je le comprends. Il n’y avait de toute manière pas de bonne réponse à vos yeux. Un « oui » prétentieux, un « non » défaitiste et un « merde » insolent. Alors, bravo Marco, quitte à répondre connement à une question con, autant le faire avec panache. Un peu comme Cédric Heymans qui, quand il se troue, à la mérite de le faire en tentant toujours des trucs que personne n’avait même osé imaginer. C’est sans doute ça, le french flair. En plus, entre nous, je doute qu’il ait un jour dit penser être champion du monde… Pensé qu’il pouvait l’être, sûrement, mais dire qu’on le sera…

Et ce deuxième épisode, tout aussi ridicule. La semaine d’avant, on lui reproche de commenter les performances individuelles de joueurs, qui osent également s’en plaindre dans la semaine. Il refuse donc de récidiver cette fois et explique calmement qu’il ne commentera pas le match joueur par joueur. Mais voilà, votre bêtise doublée de votre sadisme vous pousse à insister, comme un pack qui redemande la mêlée à cinq mètres de la ligne pour mieux humilier l’adversaire. A bout, il s’emporte et vous invite à aller voir ailleurs si ça ne vous convient pas. Comme un prof qui engueule un élève qui n’écoute pas et qui lui propose de sortir si ça ne l’intéresse pas. C’est irrespectueux et profondément agaçant pour la personne qui en est victime. Mais autant le collégien a l’excuse de l’âge, autant le responsable de la rubrique rugby de l’Equipe n’a pas d’autre circonstance atténuante à mes yeux que l’incompétence qu’il s’efforce de démontrer chronique après chronique.

Bref, vous vous indignez du traitement qu’il vous réserve, et vous vous dépêchez de tweeter vos états d’âmes. Mais avez-vous seulement le recul nécessaire pour vous rendre compte de ce que vous lui faites endurer, vous aussi à ce brave homme? Car oui, Lièvremont est un type bien, pas forcément génial tactiquement, pas un archi-pro de la com’ ou du management, mais un ancien très bon joueur, un homme intègre, sincère, honnête et proche des valeurs du rugby. Qui mérite d’être respecté ne serait-ce que pour tout ça. Il est controversé, c’est sûr, mais quel entraineur ne l’est pas ? Je ne pense pas qu’il mérite un tel acharnement médiatique.

Chacun de ses choix est prétexte à discussion, à polémique, à critique et édito incendiaire. Vous cherchez des problèmes là où il n’y en a pas. Je ne conteste pas le débat (surtout s’il concerne Damien Traille), n’appelle pas à l’union sacrée mais personne n’a rien à gagner sportivement dans cette histoire. Ni les joueurs, ni le staff, ni l’ensemble du rugby français. Les commerciaux de votre boite rêvent sans doute d’un nouveau Knysna, d’un nouvel échec sportif Domenechial mais il n’en sera rien. Vous êtes des passionnés non ? Vous savez tous de quoi vous parlez, un minimum… Eux avaient Ribéry, le mec qui, à première vue, a l’air stupide et à qui il faut deux mots pour prouver qu’il l’est vraiment. Nous on a Julien Bonnaire, qui a une tête de premier de la classe et à qui il faut un match pour prouver que oui, il l’a vraiment, la classe.

Lièvremont est là encore quelques semaines, les trente joueurs aussi, que vous le vouliez ou non. Alors plutôt que de continuer à débattre sur les qualités et défauts de chacun, les raisons de leur sélection, pourquoi on ne se concentre pas plutôt sur le meilleur qu’on pourrait en tirer pour continuer cette belle aventure ? Pour que dans trois semaines, vous ayez encore des conférences de presse française à raconter aux supporters coincés dans le triste automne de l’hémisphère nord.

Allez les gars, arrêtez de pleurnicher, savourez un peu et laissez le faire son boulot. Comme ça, peut être qu’il vous laissera faire le vôtre… Et attendons la fin du repas pour savoir qui paiera la note. Souhaitons juste qu’on ait les moyens de prendre un bon gros dessert.

Bon appétit.

Le Stagiaire